Eddington
6.2
Eddington

Film de Ari Aster (2025)

Eddington - Une bataille après l'autre, même combat. Malgré tout le talent de ces deux réalisateurs (les deux films sont intéressants à des échelles différentes), on sent leur incapacité à saisir le pouls d'une société qui, en quelques années, est brutalement devenue sa caricature aberrante. Ce n'est sans doute pas un hasard si tous ces personnages/héros (en fait, disons-le, des tocards finis), Joe le shérif dans Eddington, Ferguson et Lockjaw dans Une bataille , sont perdus ; perdus aussi bien pour leur cause que dans leur propre moi (ils ne savent pas qui ils sont). Car on sent Aster et PTA patauger, comme eux, dans une brume d'indécision. Indécision aussi bien politique qu'artistique.


Bob Ferguson est passé de révolutionnaire artificier à légume avachi conspuant la jeunesse progressiste/woke (cochez la case que vous voulez) ; Lockjaw ne résiste pas à ses pulsions sexuelles, incompatibles avec son penchant eugéniste version klu klux klan. Et Joe dans Eddington, au fond un brave type amoureux dont le cerveau s'est fait grignoter par la propagande complotiste et Trumpiste, semble en retard en permanence sur les événements. De la même manière, Ari Aster et PTA ne savent visiblement plus où ils habitent, et la confusion des genres cinématographiques, dans un cas comme dans l'autre, comme le mode passif/agressif de leurs personnages principaux, témoignent d'une incapacité à choisir un ton. Est-ce une farce ? Dans les deux cas, c'est assez peu drôle, bien que plus grinçant (sans surprise) chez Aster. Est-ce une charge politique ? Leurs personnages, qu'ils pensent sans doute bigger than life, font figure d'enfants sages face aux délires de Trump et sa clique. Même Gavin Newson, le gouverneur Californien démocrate, en fait désormais plus dans sa communication que n'importe quel personnage d'Aster ou PTA. Comment pousser les curseurs de la fiction plus loin quand ils sont déjà au max dans le monde réel ? Aster et PTA, malgré leurs efforts démesurés (de mise en scène, d'accumulations de situations et de personnages "extrêmes"), et leur attachement à une forme de grandeur/grandiloquence qui aurait pu seoir à leurs projets respectifs, ne trouvent pas la solution. Peut-être parce qu'il n'y en a pas pour ce type de cinéma : les Etats-Unis est une cour peuplée de bouffons aussi effrayants que tarés (au sens propre), à côté desquels n'importe quelle exagération est condamnée à rester fade.


On sent bien sûr que ces deux réalisateurs voudraient nous rendre sympathiques ou attachants leurs losers au grand coeur et au cerveau cramé, mais PTA et Aster ne font jamais le choix de les rendre, soit totalement ridicules (et donc d'assumer le statut de comédie), soit nobles (ils sont un peu trop cons pour ça). Peut-être faudrait-il rire de voir ainsi Di Caprio, en robe de chambre, imiter un Big Lebowski sous ketamine ? Le rythme effréné de Une bataille le suggère, mais ne s'enfonce jamais pleinement dans sa veine comique. Au même titre que Ari Aster n'assume pas vraiment dans Eddington, un peu figé dans un faux rythme, la violence du conflit larvé entre toutes les couches sociales de la ville (si ce n'est dans une bataille cathartique finale un peu frustrante par son éphémérité).


On me rétorquera sans doute que ce choix de l'entre-deux, mi-satire, mi-sidération "consciente" face à un pays qui perd véritablement les pédales, est totalement volontaire, mais deux personnages, sans doute les plus forts, mais aussi, paradoxalement, les plus "modérés" des deux films, Sergio (Benicio Del Toro, dans Une bataille) et Ted Garcia (Pedro Pascal, dans Eddington) sont là pour prouver le contraire. Car ils incarnent une forme de complexité morale (dont sont dénués Joe, Bob et les autres) qui servent bien mieux le discours politique auquel Aster et PTA aspirent derrière les péripéties millimétrées, les blagues sur les mesures barrière ou les poncifs un peu faisandés sur les woke/fachistes/révolutionnaires/complotistes. Dommage qu'ils n'aient droit qu'à quelques minutes sur 150.


Francois-Corda
6
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le 14 oct. 2025

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François Lam

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