Eddington
6.2
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Film de Ari Aster (2025)

Ari Aster est un excellent technicien, c’est incontestable. Mais c’est un type à qui on a souvent dit qu’il était génial, au point qu’il a malheureusement fini par le croire. Donc, à chaque fois qu’il nous sort une de ses nouvelles créations, il se sent obligé d’adopter une posture d’intello à deux balles, se plaçant au-dessus des autres (en partie en se foutant de la gueule de ses personnages, sans daigner prendre le temps de s'intéresser à leurs motivations, de les creuser ; ce qui participe très fortement au vide qui ressort de l’ensemble — j’y reviendrai plus loin !). Il se complaît tellement dans ce rôle qu’il en oublie d’être intelligent.


Le cadre de son histoire est celui de l’Amérique profonde trumpienne en 2020, sur fond de covid et de tensions raciales, suite au meurtre de George Floyd. Un contexte vraiment explosif : une petite étincelle de rien du tout, et boum. En conséquence, il y a réellement de quoi offrir une satire politique puissante. Tous les ingrédients sont là, il n’y a plus qu’à les cuisiner.


En outre, le réalisateur a droit aux services d’un casting ayant sérieusement de la gueule. Notamment Joaquin Phoenix, qui assure comme toujours — sauf quand il porte un bicorne — en antihéros qui va inévitablement finir par craquer (comme Joker en fait !). Par contre, sous-employer considérablement une actrice aussi brillante qu’Emma Stone est un crime artistique inqualifiable (c’est aussi le cas pour Austin Butler, dont l'ultra-courte présence ne sert pratiquement à rien !). D’autant plus qu’elle incarne l’épouse du protagoniste — donc un rôle censé ne pas être négligeable — et le long-métrage ne prend jamais le temps de creuser ce personnage, particulièrement en ce qui concerne la relation qu’elle entretient avec son mari ; on ne sait jamais pour quels motifs elle s’est mise en couple avec lui.


Mais pour en revenir à la satire politique, l’exposition des idées du cinéaste est à ce point confuse, brouillonne, qu’il est impossible d’en dégager le germe du plus petit discours cohérent. Et je vais être cash : j’y vois uniquement l’incapacité totale d’un monsieur à prendre à bras-le-corps un sujet difficile. Ce qui fait qu’une fois, à mi-parcours, que le personnage principal a pété les plombs, Aster nous sort l’ultime facilité scénaristique de sa manche : faire virer complètement son film vers l’hermétisme du thriller paranoïaque pour définitivement ne pas affronter la complexité de ce vers quoi il semblait s’engager.


Résultat : près de deux heures trente, bien filmées, bien interprétées, mais vaines. Il serait peut-être temps qu’une âme charitable aille faire comprendre à Ari Aster qu’il serait bénéfique qu’il se remette très sérieusement en question.

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le 17 juil. 2025

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Plume231

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