Enzo
6.3
Enzo

Film de Robin Campillo et Laurent Cantet (2025)

Enzo. Une promesse, un trouble.

Il y a dans Enzo une ambition rare, une matière brûlante. Le projet mêle les lignes : chronique d’un transfuge de classe à rebours, drame filial discret, et découverte d’un désir encore indéfinissable. Le film embrasse beaucoup, parfois trop — mais souvent avec sincérité.


La première partie, entièrement ancrée dans des thématiques chères à Cantet, fascine par sa justesse. Enzo, adolescent issu d’un confort bourgeois, fuit le déterminisme social en rejoignant un chantier. Non pas dans un geste héroïque, mais par besoin de tangibilité, de friction, de fatigue. De silence aussi. Eloy Pohu, dont c’est le premier rôle, compose un garçon aux mouvements retenus, à l’âme chiffonnée. Il est la grande force du film.


Autour de lui, les figures parentales sont solides. Pierfrancesco Favino, en père rigide mais affectueux, touche juste. Élodie Bouchez, lumineuse de douceur inquiète, incarne une mère aimante, mais dont le métier d’ingénieure reste une simple étiquette de scénario - jamais incarnée dans les gestes ou les mots. Une parenthèse qui trahit l’écriture : parfois, le film pose les bases sans toujours les explorer.


Puis la deuxième partie, plus proche de l’univers de Campillo, glisse vers une exploration du trouble, du désir. Enzo se découvre une attirance pour Vlad, ouvrier ukrainien au charisme tranquille - une tension bien captée dans les regards, les silences. Mais l’acceptation de ce désir par Vlad paraît, elle aussi, étonnamment immédiate. C’est à la fois trop rapide et trop facile, dans un film qui, par ailleurs, prend son temps.

Ce pan-là aurait mérité plus de subtilité, plus d’ambiguïté ou de résistance.

Quant à la guerre en Ukraine, convoquée en arrière-plan, elle semble tenir plus de l’effet d’aubaine que d’un vrai contrechamp politique : elle est là, mais elle reste en surface.


Et c’est là, pour moi, que le bât blesse. Car les deux pans, le social à la Cantet, le sensoriel à la Campillo, ne s’intègrent jamais complètement. Ils cohabitent plus qu’ils ne se répondent, comme deux récits qui auraient mérité un tissage plus intime, plus organique.


Le rythme, lent, épouse l’ensoleillement du sud, les gestes simples, les pauses, les regards. Et dans son dernier tiers, le film gagne en intensité, comme si la charge retenue jusque-là trouvait enfin son débouché.


Quelques aspérités subsistent. Le contremaître, bien dirigé, parle avec une diction trop parfaite pour son rôle. Et le film, tout en délicatesse, laisse parfois ses fils narratifs en suspens — non pas par subtilité, mais par hésitation.


Mais malgré cela, Enzo demeure un film habité, traversé de grâce fragile. Une œuvre sincère, qui, sans pleinement réussir à faire coexister ses lignes thématiques, laisse une trace. Comme un mur un peu de guingois, mais fait de ses mains.

JayBoat
6
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le 19 juin 2025

Critique lue 717 fois

10 j'aime

JayBoat

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