Les films d’Ozu se ressemblent tous, c’est une évidence : toujours les mêmes thèmes, toujours les mêmes personnages, toujours les mêmes acteurs, toujours les mêmes décors. Cela s’applique particulièrement au duo « Printemps Tardif » suivi de « Eté Précoce », qui, outre leurs titres voisins, mettent tous deux en scène le personnage de Noriko, femme célibataire de vingt-huit ans que sa famille veut désespérément marier.


Notez que je n’ai rien contre la répétition. Des cinéastes tels que Ford, Bergman, Lubitsch, Allen… ont prospéré en recyclant toujours la même chose au cours de leurs carrières et comptent parmi les réalisateurs pour lesquels j’ai le plus d’affection.


« Eté Précoce » s’intéresse à une famille de personnages, qui vivent ensemble dans l’une de ces espèces d’énormes maisons japonaises dans la campagne autour de Tokyo – mille fois plus confortable que les trous à rat que l’on loue certainement au centre-ville de la plus grande métropole du monde. Trois générations cohabitent : le médecin Koichi (Chishu Ryu), sa femme, sa sœur Noriko (Setsuko Hara), ses parents et ses deux garçons mal élevés. Cet arrangement n’est néanmoins que temporaire : Noriko est en âge d’être mariée et de quitter le foyer familial. Une fois la jeune femme casée pour de bon, ses parents entendent bien donner son indépendance à leur fils en quittant la région.


À l’image du film précédent, « Printemps Tardif », l’enjeu central du film repose sur le mariage, arrangé, de Noriko et d’un prétendant. De vagues plans sont formulés, jusqu’à l’introduction d’un candidat crédible. Les choses s’emballent alors : son chef présente à Noriko des photos, la famille est consultée et même le prétendant, de son côté, semble chercher à glaner des informations sur sa potentielle fiancée. Ils ne songent même pas à se rencontrer d’abord, ce qui, avouons-le, est quand même plus simple.


Le film oppose la modernité et la tradition. Ainsi, Noriko, jeune japonaise moderne pleinement assumée – la place de la femme dans cette société semblant avoir évolué avec la guerre, comme partout dans le monde d’ailleurs – qui refuse d’abord le mariage, finit par faire un choix que son patron qualifie de "désespérément traditionnel". Visuellement, l’hyper modernité de Tokyo, couverte de béton et de tours interminables, contraste avec la campagne plus bucolique de la banlieue où réside la famille de Noriko.


Famille qui est le thème principal du film, et, de manière générale, au cœur du cinéma d’Ozu. Il se dégage une atmosphère chaleureuse et bienveillante de la façon qu’a toute la famille de cohabiter sous le même toit. Il s’agit de l’un des points distinguant « Eté Précoce », qui fait interagir trois générations de personnages, de « Printemps Tardif », où seuls Noriko et son père apparaissent à l’écran. Cela rend le film à la fois plus vivant, plus dynamique et plus léger : le ton grave et parfois fataliste du film précédent est évacué au profit d’une ambiance plus festive. Maintenir cette unité familiale est ce qui compte le plus pour les personnages, même s’ils ne l’avouent pas nécessairement. Ainsi, les parents sont d’abord enchantés à l’idée de marier Noriko, mais dès que cela se concrétise, ils réalisent que le mariage signifie également la fin de leur vie commune dans la maison historique et le départ de leur fille. Et si, intrinsèquement, Noriko n’a rien contre l’idée du mariage, elle se fustige d’être celle qui met fin à cette période.


Il y a ici, comme dans tous les films d’Ozu, une certaine sobriété qui est particulièrement appréciable. Le scénario est secondaire, servant principalement de prétexte au développement des personnages et à leurs interactions. J’aime beaucoup l’atmosphère ici, et je le préfère au précédent : souvent, plus il y a de personnages, mieux c’est (jusqu’à un certain point).

Aramis
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le 24 sept. 2018

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Aramis

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