Eva vient d’emprunter un appartement pour le mois d’août afin de rester à Madrid, ville de sa vie. Eva sort dans des musées, regarde des gens, sort en bar le soir, rencontre de nouvelles personnes, mais continue encore et toujours de tout contempler d’un œil extérieur, comme si elle ne faisait que prendre du recul sur le moment immédiat. Eva est une inconnue, on ne sait rien d’elle, et pourtant on suit ses déambulations dans Madrid, on écoute ses discussions avec des inconnus, et on suggère ses pensées les plus préservées. Eva est en août et Eva s’ennuie, et on s’émerveille devant cette actrice tout comme on s’émerveille devant ce film.


L’appartement, lieu de repos


La première scène du film introduit celui-ci par la visite de l’appartement dans lequel logera Eva durant ce métrage, un appartement ne possédant qu’un seul ventilateur et qui est donc assujetti à la chaleur accablante de ce mois d’août. Cet appartement est donc un lieu de pause et d’observation, où être assis sur son canapé en mangeant de la pastèque devient une routine, ou bien être assis sur son balcon pour voir des célébrations estivales devient un passe-temps.
D’un autre côté, l’appropriation de ce lieu (quand Eva se retrouve seule dans le logement) se fait (presque) torse nu, avec Eva qui débraille sa chemise avant de la déboutonner. Dans cette intimité dont seul le spectateur peut profiter, cette femme nous accueille par un intriguant regard caméra avant de se déshabiller. Quitte à ce qu’il la suive durant tout le film, autant faire en sorte à ce que les salutations soient les plus complètes possibles. Quasiment personne n’y entre, et quand c’est le cas, c’est en vue d’une séance d’hypnose spirituelle qu’effectue María, une femme rencontrée au cinéma, sur Eva. Et là, toute l’intelligence du film se déploie, en assemblant suggestions du passé avec celles du présent, cette scène devient une attente chez le spectateur, d’un événement qui n’aura jamais lieu (voir fin deuxième paragraphe).


Le jeu de l’amour et de la liberté


Eva semble célibataire, elle ne parle pas de partenaire, et semble de manière générale assez libre dans sa démarche et ses regards. Ainsi elle n’hésite pas à regarder longuement une touriste dans un bus, et ce allant même jusqu’à la suivre au musée avant de la perdre de vue. Est-elle alors lesbienne ? Puis elle croise un ancien ami journaliste où l’on apprend qu’ils ont failli sortir ensemble. Est-elle alors bi ? On ne sait pas, aucune réponse n’est clairement apportée, seuls des indices sont amenés pour montrer les attirances de Eva, et ceux-ci sont hauts en couleurs, car (presque) tout passe par le T-Shirt. Notre protagoniste possède souvent un haut rouge, couleur chaude et typique de l’été (que l’on retrouve en force sur l’affiche du film), et chaque autre personnage possédant un haut dans les mêmes teintes de couleurs (jaune, orange…) est susceptible d’attirer Eva. À tout cela s’ajoute la lente pause qu’elle fait quand elle observe ces gens qu’elle trouve attirants. Elle attend, elle regarde parfois la personne, mais est constamment en train de réfléchir. Quand elle voit son ami journaliste, celui-ci possède un T-Shirt bleu et elle ne marque pas vraiment de pause, instinctivement on sait qu’elle ne va pas ressentir grand-chose en le voyant, du moins pas d’un point de vue sentimental ou charnel.
De ce fait, quand María (voir fin premier paragraphe) entre (et c’est bien la seule) dans l’appartement de Eva en vue de la soulager pour ses prochaines règles, qu’elle porte un T-Shirt jaune et qu’elle met du temps à passer ses mains au-dessus de quelques parties de son corps, notamment sa poitrine, une attente (logique) se crée chez le spectateur, celle de la conclusion. Cependant rien ne vient, tout se passe comme ce qui avait été prévu puis Eva et María sortent ensuite boire un verre. Sans parler de frustration, c’est avec les sentiments et les pulsions du spectateur que joue Jonás Trueba, s’éloignant de scènes à la Cronenberg et se rapprochant de la sobriété de Rohmer ou, plus récemment, de Kôji Fukada. Cette sagesse de mise en scène et cette économie de moyens sont rafraîchissantes par ce temps écrasant de surplus en toutes sortes.


Des errances quelconques


Dans Eva en août tout tend à être relativisé, rien n’est vraiment pris au sérieux car tout est pris avec un certain recul. Dans un bar, alors qu’un homme (qui, accompagné d’un ami, l’avait abordée, elle ainsi qu’une amie) discute avec Eva en vue de la séduire, celle-ci coupe directement cette option, et préfère "jouer" avec lui et jouer avec la situation. Si elle n’est pas intéressée par cet homme en tant que partenaire, peut-il au moins être un bon ami ? Sans leçon morale posée par-dessus, c’est seulement une discussion des plus normales entre deux personnes des plus normales jouant chacun à un jeu différent (celui de l’amour et celui de la liberté) mais qui, finalement, ne font qu’errer dans leurs vies respectives.
Mais le film fait le choix de montrer la voie pour une fin possible à cette histoire. Au milieu de l’été, Eva rencontre sur un pont un homme (au T-Shirt rouge, heureux hasard) en train de fumer. Croyant qu’il était à deux doigts de sauter, elle le rejoint et entame la conversation. Cette fois-ci les camps sont inversés, Eva tente de séduire, et cet homme (du nom de Agos) est bien distant, ce qui conduira cette première rencontre à un échec du côté de la protagoniste, rentrant non sans un air mélancolique au coin du visage. Mais rien n’est perdu, et ils se recroiseront le lendemain (après un concert où Eva aperçu Agos en tant que serveur au bar), même heure, même endroit. Eva suit cet homme, marchant dans les rues de Madrid, bien décidé où il va, dans un bar. Elle décide de lui parler, et quelques heures plus tard les voilà dans le même lit, des sentiments pour chacun en plus. Si Eva erre dans la ville, Agos suit un modèle bien précis, ses journées sont en quelques sortes rythmées par des habitudes, l’arrivée de Eva pose donc un certain problème car tout est à refaire, du moins s’il en a envie. Cependant ces deux personnes sont toutes les deux en train d’errer dans leurs vies, la première ne sachant pas où elle sera la semaine d’après, et la deuxième ne faisant que se dire qu’il est un mauvais père (et probablement en train de culpabiliser de vivre en colocation à plus de 30 ans encore). La claque volontaire que chacun met à l’autre au bar dans le but de jouer à un tour d’improvisation est comme un réveil dans la face, qui remet les pieds sur terre et fait tomber la tête des nuages, permettant ainsi de se laisser porter par le courant du présent.


Au milieu de la chaleur de l’été, c’est finalement encore plus de chaleur que cherche Eva, afin de combler une froideur intérieure qu’elle sait présente mais qu’elle ne peut/veut pas combattre. En se rendant compte en fin de film qu’elle est enceinte en se disant que c’est impossible (ce qui laisse suggérer qu’elle n’a pas eu de rapport sexuel ces derniers mois), elle assume totalement le fait de se laisser aller, et se laisse toucher par une intervention divine dans laquelle elle incarne la vierge, la vierge d’août.

NocturneIndien
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le 14 août 2020

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