L’Everest. 8848 m. Un environnement hostile, où le corps humain n’est pas conçu pour vivre. Oxygène rare, vents violents et glacials, orages imprévisibles, précipices mortels, dysfonctionnements biologiques divers, toute personne qui s’aventure dans cet environnement sait qu’elle est amenée à souffrir, et à mourir à petit feu. Depuis que le premier homme est parvenu à poser le pied au sommet sacré, d’autres ont voulu accomplir le même exploit. Divers compagnies se sont créés pour permettre aux volontaires de tenter l’expérience ultime. Mais on n’apprivoise pas si facilement le sommet du monde…


L’adaptation d’un fait divers, un scénario propice à saisir le spectateur, un beau décor associé à des scènes épiques, des émotions fortes, ce genre de film catastrophe teinté de réalisme est généralement un concept qui a tout pour séduire. Mais le réalisateur Baltasar Kormákur a voulu s’éloigner des codes habituels. Pas d’esbroufes hollywoodiennes, de sacrifices héroïques, de sauvetage in extremis. Juste des hommes (et femme), ô combien vulnérable dans un tel environnement, qui veulent braver le danger et supporter des souffrances pénibles. Pourquoi ? Pour repousser toujours plus ses limites ? Par challenge ? Pour se sentir d’avantage vivant ? Pour devenir des héros et rajouter son nom à la liste ? La réponse varie selon les personnes, qui préfèrent l’éluder que répondre franchement. La question est d’ailleurs rapidement survolée, ce qui pourrait être un peu reproché.


Pourquoi il est vrai, affronter de telles souffrances et des risques mortels conséquents?
Idiots ? Masochistes ? Peut-être, mais il n’en demeure pas moins une persévérance, une pugnacité, un courage, et une volonté qu’il faut louer. Et surtout une entraide mutuelle de la part de ces volontaires de l’extrême capable de risquer leur vie pour secourir leur compagnon de route.


C’est une évidence, l’image est belle. Une beauté auquel le danger implacable qu’elle représente ajoute une aura particulière. Quand la tempête arrive, c’est comme si les grimpeurs s’étaient retrouvés sur une autre planète à la météo apocalyptique et dantesque, une vision cauchemardesque où les repères n’existent plus, où tout autour rugit les éléments déchainés, les chances de survie presque aussi inexistantes que l’horizon voilée.


Le film prend le temps d’installer la situation et les personnages, et se concentre sur l’ascension finale. Cela va presque trop vite, les volontaires parcourent les premiers milliers de mètre, s’arrêtent brièvement dans les monastères tibétains, arrivent très rapidement au dernier camp de base sans que la caméra ne s’attarde vraiment. Paradoxalement, cela peut paraître assez long, car il y a beaucoup de paroles pour présenter les nombreux personnages, trop nombreux pour que l’on s’intéresse à tous, et même que l’on parvienne à identifier qui est qui (et c’est encore pire lorsqu’ils sont en combinaison dans la montagne !). On comprend qu’il y a plusieurs compagnies rivales, avec des méthodes différentes, ce qui occasionne parfois quelques tensions et notamment des problèmes au niveau du matériel. Parmi les personnages principaux, on trouve l’un des guides, cordial envers ses clients, mais ferme en ce qui concerne les questions de sécurité, dont le crédo est de permettre à chacun d’avoir une chance d’arriver au sommet ; un rival (Jake Gyllenhaal ) avec qui il est en bonne entente, qui bien que tout aussi sympathique que son collègue, est moins discipliné par rapport aux risques de la montagne et aurait tendance à trop usé de ses forces. Parmi ses protégés on trouve un homme qui se sent un peu étouffé par sa famille, même s’il l’aime plus que tout ; un autre plus tout jeune qui a déjà tenté l’exploit à plusieurs reprises, et pour qui cette ascension représente la dernière chance de réussite ; un journaliste (le Douglas de « House of cards » venu écrire un article sur ces volontaires qui n’ont pas froid aux yeux; une sympathique asiatique venue rajouter l’Everest à sa liste de palmarès déjà fournie.


Plus de paroles que de paysages donc, ce qui pourrait ennuyer certains. Cette mise en place est toutefois indispensable pour s’attacher aux personnages, même s’ils manquent un peu de profondeur et si certains deviennent très secondaires, faute de s’attacher à tous.
Il aurait sans doute été très compliqué voir impossible de s’attarder sur tous les aspects de ce type d’expédition. En montrer d’avantage aurait encore allongé la mise en place et nuit au rythme du film, qui se serait plus rapproché d’un documentaire. Tandis que s’attarder uniquement sur l’ascension finale et l’arrivée du danger l’aurait fait perdre son côté originale pour le rapprocher d’un classique film catastrophe américain. Le choix paraît donc plutôt justifié, même si moins de paroles et un côté plus contemplatif, un nombre de personnages plus restreint et un meilleur développement pour certains n’aurait pas été plus mal. Et pourquoi pas quelques scènes supplémentaires avec les tibétains pour montrer le dépaysement des personnages.
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La deuxième partie, toutefois, se rattrape largement. L’ascension de tous les dangers. Arriver au sommet est l’exploit à accomplir, encore faut-il redescendre vivant. Les conditions particulières sont telles que les grimpeurs ne disposent que d’une fenêtre limitée pour poser le pied au sommet et redescendre, tout dépassement n’étant pas sans risques. Un danger difficile à faire prendre conscience à ceux qui ont déjà accepté les risques d’une telle aventure et qui ont un tel désir de réussir à tout prix.


Quand l’orage arrive, que le péril approche, nul besoin de musiques stridentes au rythme élevé pour percevoir tout le danger, les forces de la nature sont suffisantes. Quand les nuages noirs déboulent, les images parlent d’elles-mêmes. Pas de grandes envolées émotionnelles non plus, la peur qui se lit sur les visages, les expressions crispées par l’effort, sont suffisamment éloquentes. Pas de héros, juste des être faillibles, impuissants face à plus grand que soi. Les premiers morts surviennent, suivit de beaucoup d’autres. Charrié par cette tempête particulièrement meurtrière, la Mort n’est pas décidé à limiter ses victimes, et c’est en nombre qu’ils tombent, peu importe leur courage, leur abnégation, leur sympathie, et même leur niveau de préparation. Un homme reste un homme, et l’homme ne pèse pas lourd face aux éléments.
Un soulèvement indéniable, lorsque ceux dont on a suivi les efforts et les souffrances périssent, leurs coéquipiers incapable de leur porter secours.


Un refus judicieux d’éviter le spectaculaire pour se concentrer sur l’homme, de ressentir d’avantage leurs souffrances et la beauté mêlée de danger de la montagne, mais qui risque de laisser également une partie des spectateurs en bas de la falaise, ennuyée d’une réalisation qu’ils pourront juger fade, de personnages trop nombreux pour s’y intéresser, et d’une première partie un peu longue, et de la mise en second plan d’acteurs célèbres (Jake Gyllenhaal, Keira Knigthley). Mais si l’on veut bien accepter ces choix, le film prendra aux tripes et laissera un souvenir durable.

Enlak
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le 18 oct. 2015

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