Je m'en veux de donner une meilleure note à Doctor Strange in The Multivers of Madness, mais il faut se rendre à l'évidence. J'ai pris un chouia plus de plaisir devant le dernier produit industriel de Marvel, que devant un authentique film d'auteur original et ambitieux exploitant infiniment plus son concept de multivers. La raison est simple, malgré ses innombrables défauts et son manque flagrant d'ambitions artistiques, Doctor Strange 2 a pour lui un vrai metteur en scène à la barre : Sam Raimi. Pas des réalisateurs de clips, certes passionnés, mais n'ayant ni la maturité, ni le savoir faire pour mener à bien un tel projet.
Vous reprochez au grand public ne pas avoir eu la curiosité de voir le film en salle alors qu'il a la gueule d'une Web Série de 2015. Le format de base est en 16/9, la photo est globalement immonde, il n'y a aucune profondeur de champ dans la composition des cadres, quasi aucune réflexion sur le découpage des séquences et les effets spéciaux made in Affect Effect font encore plus cheap que ceux des marveleries finis à la pisse par des animateurs en burn out.
D'accord on trouve ça et là quelques idées pertinentes quoi que rarement innovantes et toujours grossièrement réalisées, mais c'est peau de chagrin par rapport à la laideur indigente de l'ensemble. En revanche, il convient effectivement de saluer la fluidité du montage, surtout vu la difficulté qu'ils ont dû avoir pour rendre lisible la profusion d'actions et de switchs dimensionnels à l'écran. Hélas le long-métrage pâtit également de sérieux problèmes de rythme.
A ce titre, la première partie fut pour moi un véritable supplice. A peine la Ch'tit famille d'Evelyne présentée qu'un personnage issue d'une autre dimension fait irruption dans le corps de son mari pour l'initier en 5 secondes au concept du multivers. Le reste est une suite d'actions ininterrompue durant lesquelles notre héroïne effectue pléthore d'allers-retours dans différentes vies afin d'enrichir la sienne de nouvelles compétences améliorant ses capacités de combat au fur et à mesure. Sur le papier, cela pouvait être très fun mais dans les faits, le rythme épileptique et le découpage brouillon rendent tout ça incroyablement confus, d'autant plus avec la sur-couche de dialogues explicatifs présentant laborieusement un univers qui se voudrait complexe alors qu'il est en réalité d'une simplicité enfantine. Les quelques règles introduites en début de film sont d’ailleurs rapidement oubliées par les scénaristes.
Et puis, après facile 1h30 de bordel foutraque incompréhensible, le film ralentit la cadence et cesse de tourner en rond pour enfin raconter quelque chose avec son concept.
En effet, à force de valdinguer d'un monde à l'autre, Evelyne devient un être omniscient, pouvant transposer sa conscience dans n'importe quelle autre version d'elle-même, tout comme sa fille Joe, présentée initialement comme l'antagoniste du film. A partir de là, les deux personnages pourraient vivre une existence riche et exaltante mais il n'en est rien. Car aussi diversifiées que soient les multitudes de réalités parallèles qui s'offrent à elles, chacune contient inévitablement son lot de malheurs et de déceptions. Aussi, à force de constater que toutes ses existences étaient si interchangeables et aussi vaines l'une que l'autre, Joe a finit par ne plus leur accorder la moindre importance.
Une vision nihiliste qui colle assez bien avec la notion de multivers et qui était déjà brillamment développée dans l'excellente série Rick et Morty. Sauf qu'au cynisme exacerbé d'un Rick Sanchez, Evelyne oppose à sa fille l'idéalisme désarmant d'un Patrick Sébastien, selon lequel l'amour et la gentillesse triompheraient toujours de toutes les souffrances. Soit, une diatribe très naïve qui me semble bien faible à proposer en réponse aux grandes questions philosophiques soulevées par le film et qui, à mon sens, trouvaient beaucoup plus de réponses nuancées et satisfaisantes chez Rick et Morty.
Ce message final s'inscrit toutefois parfaitement dans le développement des personnages, lui-même extrêmement cul-cul et caricatural au possible. Et j'aurais pu le tolérer si il ne me semblait pas amener comme un cheveux sur la soupe, à grand renfort de violons larmoyants, histoire de nous faire chialer pour une histoire qu'on a pourtant jamais prit au sérieux jusqu'ici.
Aussi, malgré son originalité formelle, ses quelques bonnes trouvailles et la sincérité de sa démarche, le film est un échec cuisant à tous les niveaux ce qui, dans un paysage cinématographique où le multivers est de plus en plus tendance, le fait passer pour n'importe quelle série B cheap utilisant un concept à la mode, alors qu'il avait le potentiel pour être tellement plus que ça.
Espérons ceci dit que son succès inattendu aux US amène un vent de fraîcheur et d’expérimentation dans une industrie hollywoodienne devenue terriblement morose.