Le concept de multivers a longtemps été abordé dans les œuvres de fictions, de la littérature à la bande dessinée américaine, jusqu'au cinéma. Dans ce dernier, ce concept n'a connu un véritable essor qu'au XXIème siècle, particulièrement dans les années 2010. Nous le retrouvons dans les thrillers, dans les films d'horreurs et évidemment dans les films de super-héros. Cependant, rares sont les productions à tirer du multivers une bonne œuvre cinématographique. Dans cette infinité de métrages mauvais, un a réussit à ne pas se perdre entre les univers : Everything Everywhere All at Once.


Dan Kwan et Daniel Scheinert nous offrent tout ce que nous pouvons attendre d'un métrage traitant du multivers : de l'inventivité. Le traitement de ce concept est faite de manière totalement décomplexée et c'est possiblement la meilleure façon de traiter un sujet pareil. Néanmoins, il faut une certaine maîtrise pour ne pas partir définitivement dans le n'importe quoi, et le film est maîtrisé de bout en bout. Avec le millier d'images presque psychédéliques toutes les deux minutes, il faut un un montage tenue d'une main de maître pour ne pas se perdre. Malgré le rythme effréné, le montage garde du sens là où il n'y en a vraisemblablement pas. Une seule erreur dans celui-ci et nous serions perdus dans les méandres du multivers et du vomissement visuel.

Plonger dans Everything Everywhere All at Once c'est accepter de partir dans un voyage qui dépasse le cadre des mondes possibles pour une virée profondément cinématographique. Le médium en lui-même est influencé par ce qui se déroule à l'image comme si lui-même voyageait d'un monde à un autre. La majeure partie du métrage est en plein écran pour correspondre à la réalité. L'autre format que nous voyions est le 16/9, et il n'intervient que pour souligner le lien entre les mondes, en particulier lors des séquences d'actions. Le changement de format est une idée ingénieuse pour faire comprendre au spectateur le passage d'un réalité à une autre, toutefois, le métrage utilise d'autres moyens pour le montrer en se référant à l'histoire du cinéma. La réalisation et la photographie changent selon les situations tout en rendant hommage au médium cinématographique. Les séquences de combats sont les plus parlantes : c'est purement du cinéma hongkongais dans sa réalisation avec des ralentis et des chorégraphies de hautes volées. Nous pourrions aussi citer la réalisation bollywoodienne de l'univers où l'Homme a des saucisses a des saucisses à la place des doigts, ou celle digne d'une comédie romantique dans celui où Evelyn est une star de cinéma. Tout ces éléments ravissent les amateurs du septième art tout en cultivant leur curiosité. En effet, nous sommes constamment surpris et nous nous demandons à chaque instant ce que le métrage nous proposera. Malgré son statut de blockbuster, le métrage tente des choses et va très loin. En terme de scénario, nous restons sur la même folie. C'est une explosion d'émotion jonglant sans cesse entre joie et tristesse. Par contre, et c'est là où le métrage se perd, il joue trop sur les revirements de situations. Il y en a tellement que ça en devient indigeste. De plus, ils desservent un final pleins de bons sentiments frôlant la niaiserie. C'est bien dommage qu'un film qui maîtrise aussi bien un concept aussi difficile que le multivers, se repose sur des tournures scénaristiques basiques. Malgré tout, cela n'enlève en rien la réussite de l'intrigue à se servir du multivers pour proposer des thèmes profonds bien réels.


Le multivers de Everything Everywhere All at Once a pour principal but de parler de la destruction du cocon familiale dont Evelyn – la mère de famille – en est la cause majeure. Evelyn ne vit que pour son travail, et en vient à abandonner tout ce qui l'entoure. Elle délaisse son mari Waymond tout en le pensant incompétent, elle voit en son père son propre échec en tant que mère et de ce fait elle a de mauvais rapports avec sa fille Joy. Pour ne rien arranger, elle trouve sa vie minable car elle n'a rien accomplie. Evelyn semble – paradoxalement – déconnectée de la réalité dans laquelle elle vit. Les premières séquences dans la laverie vont à tout allure. Plusieurs informations lui sont transmises mais elle s'en moque, le travail et les impôts étant plus importants. La guerre du multivers qui arrivera dans sa vie deviendra ainsi une guerre personnelle où elle combattra tout ses maux. Bien qu'elle soit la pire version d'elle-même de tous les univers, ce sera celle qui utilisera le mieux ses « pouvoirs ». Son souhait de devenir quelqu'un d'important sera réalisé, sauf que ce ne sera une joie que de courte durée puisque ce n'est pas ça le vrai bonheur. C'est alors en voyant ses doubles qu'elle grandira en tant qu'être humain, qu'elle trouvera le beau chez elle et chez les autres, et c'est en les voyant qu'elle deviendra la meilleure version d'elle-même.

A vrai dire, chacun cherche le sens de la vie dans le film, Evelyn et Joy les premières. « Détruite » par sa mère, Joy ne le trouvera pas. C'est un personnage profondément nihiliste pour qui plus rien n'a d'importance. Evelyn se rapprochera pendant un temps du mouvement de pensée de sa fille, en fuyant sa vie en regardant celle de ses doubles puis en agissant dans leurs vies de manière amorale. Pourtant, c'est elle qui trouvera le sens de la vie. Celui-ci se trouvera dés le premier plan du film. Dans un miroir rond nous voyions la famille faire du karaoké dans la joie et la bonne humeur. Par la forme du miroir évoquant un œil et le changement d'ambiance dû à un jumpcut, nous avons l'impression d'observer un autre univers sauf que ce n'est pas du tout ça. Ce que nous voyions au début est une fenêtre sur la fin du film.


Everything Everywhere All at Once est le blockbuster que nous souhaiterions voir plus souvent dans nos salles. Traitant le multivers de manière habile et décomplexée, le métrage pèche malgré tout dans l’enchaînement de ses péripéties, se reposant sur des codes vus et revus. Le film de Dan Kwan et Daniel Scheinert reste cependant une des propositions les plus folles et les plus sincères de cette année.

Flave
9
Écrit par

Créée

le 28 sept. 2022

Critique lue 21 fois

Flave

Écrit par

Critique lue 21 fois

D'autres avis sur Everything Everywhere All at Once

Everything Everywhere All at Once
MamaBaballe
4

Ici ou ailleurs, toujours la même histoire, toujours le même drame familial

C'est l'histoire d'Evelyn ( Michelle Yeoh ) une remarquable actrice, dans ce rôle de mère et d'épouse, qui tente de maintenir avec toute l'énergie du désespoir sa petite entreprise familiale qu'elle...

le 30 juil. 2022

136 j'aime

2

Everything Everywhere All at Once
Sergent_Pepper
7

Incroyable mais frais

Aux grincheux qui se répandent sur la mort du cinéma, l’été 2022 apporte des ébauches de réponses qu’il convient de mettre en valeur : à l’abri de l’aseptisation des franchises, trois propositions...

le 31 août 2022

133 j'aime

4

Everything Everywhere All at Once
Behind_the_Mask
5

Le (multi)vers est dans le fruit

Cela fait plusieurs mois que la sphère critique nous le vend, ce Everything Everywhere All at Once. Tout comme les quelques chanceux, pensais-je, qui avaient eu l'occasion de le voir. Et cela fait...

le 31 août 2022

121 j'aime

12

Du même critique

Uncharted
Flave
6

Le début d'une aventure cinématographique

Les Playstation Studios font leurs grands débuts dans le cinéma en prise de vue réelle avec une des licences phares de Sony : Uncharted. Ces débuts sont aussi ceux de Nathan Drake qui n'est pas...

le 13 févr. 2022

11 j'aime

Spider-Man: No Way Home
Flave
7

Ce que c'est d'être Spider-Man

Le film le plus attendu du MCU depuis Endgame est enfin arrivé. Il est difficile pour un fan de Spider-Man, voire de Marvel en général, de ne pas s'émoustiller face à tant de fan service. A l'image...

le 15 déc. 2021

7 j'aime

Scream
Flave
3

Le tueur sur l'affiche est le film lui-même

Scream est un film méta. Conscient du genre où il baigne, il ose en pointer ses tares et joue avec brio de ses archétypes. Nous parlons ici évidemment de celui de 1997, car le « requel » de...

le 15 janv. 2022

3 j'aime

3