Ecrire, Réécrire, et encore Réécrire (UdeM)

Il s'agit d'un travail érigé dans le cadre du cours Histoire et Théorie du Scénario, pour Mr. Maltais à l'Université de Montréal. Ce dernier consiste en l'étude d'un scénario afin d'étudier un sujet en rapport avec le travail du scénariste.


[...]
Alex Garland est un scénariste qui a notamment travaillé pour Danny Boyle. En 2014, il sort son premier long-métrage, qu’il a lui-même écrit. Il occupe ainsi deux postes fondamentaux à la création d’un film.
[...]



[...] Devenir maîtres après Godard en ayant la prétention de signer leur œuvre de A à Z. André Lavoie



En effet, de nombreux réalisateurs souhaitent écrire leurs propres scénarios. A une échelle amateure, novice, étudiant, c’est une pratique assez courante que de porter une double casquette réalisateur/scénariste. [...] Avec le temps, on se rend vite compte qu’il faut une certaine expérience afin de contrôler les deux, et que dans la plupart des grosses productions, réalisateurs comme scénaristes, sont aidés par un suppléant. Quelques réalisateurs se retrouvent à avoir ce double rôle, et dans la majorité des cas, il s’agit d’ancien scénaristes. Les meilleurs exemples restent Charlie Kaufman, scénariste de Being John Malkovich (Spike Jonze, 1999) ayant réalisé/scénarisé I'm Thinking of Ending Things (2020), Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) ayant réalisé/scénarisé The Card Counter (2021) ou encore Alex Garland, présenté en introduction, scénariste de 28 Days Later (Danny Boyle, 2003) et ayant réalisé/scénarisé Ex Machina (2015).


Alex Garland, né le 26 mai 1970, débute en tant qu’écrivain, avec le livre The Beach (1996). Ce dernier sera adapté en 2000 par Danny Boyle pour le cinéma. Son livre suivant, The Tesseract (1999), sera aussi adapté au cinéma par Oxide Pang en 2003. Alex Garland se tourne alors rapidement vers Hollywood, et reste en contact avec Danny Boyle avec lequel il écrira deux scénarios, 28 Days Later en 2002 et Sunshine en 2007. Il officiera un tant soit peu dans le jeu vidéo, écrivant notamment le scénario du remake de la série Devil May Cry (2013). C’est dans cette même période que Alex Garland se lance pleinement dans le cinéma, réalisant son premier long métrage en 2015 : Ex Machina. Il réalisera par la suite un film pour Netflix, Annihilation, en 2017, puis une série pour la chaîne FX, Devs, en 2020. Pour ces trois œuvres, Alex Garland est crédité en tant que réalisateur, mais aussi scénariste. Il reste donc attaché à ce poste d’écriture, lui permettant d’avoir les pleins pouvoirs sur l’histoire de ses films. Son passé d’auteur et scénariste lui confère une certaine légitimité à ce double poste.


Pour résumer, le film raconte l’histoire de Caleb, programmeur dans une entreprise rappelant Google. Dès l’introduction, on apprend que Caleb a gagné un concours lui permettant de passer un séjour avec le PDG de l’entreprise, Nathan, reclus au milieu de la nature dans un laboratoire secret. Une fois arrivé, Caleb comprend qu’il est là pour tester les capacités de Ava, l’intelligence artificielle conçu par Nathan. L’acte 2 du film tourne en grande partie autour des entrevues entre les deux personnages, engageant une forme de chapitrage à chaque session. Pendant ce temps, le film antagonise peu à peu la figure démiurge de Nathan. Comprenant que Ava est destiné à être détruite, Caleb décide de la sauver. Mais l’intelligence artificielle décide de se prendre en main, tuant Nathan et abandonnant Caleb dans le laboratoire avant de partir dans notre monde. [...] Caleb se croit le héros de l’histoire combattant Nathan, mais c’est finalement Ava qui s’en sortira par ses propres moyens, tuant ainsi son créateur, se rapprochant donc d’une comparaison biblique, voir du conte de Frankenstein.


Alex Garland est passionné par la robotique et la programmation. Son travail tourne en grande partie autour de ces sujets. Aucune information concrète quant au début du projet n’a été trouvé, mais il semblerait qu’Alex Garland est commencé à écrire le scénario en même temps que celui du film Dredd (2012) de Pete Travis. Partant avec une véritable liberté créatrice, Alex Garland s’est tout de même entouré d’un coscénariste, Glen Brunswick. La collaboration permet d’avoir un avis externe afin d’écrire une œuvre à la fois compréhensible pour la majorité et sans incohérences. [...]


On remarque que malgré la liberté créatrice de Alex Garland, ce dernier n’échappe pas aux nombreuses réécritures. En le lisant et en le comparant au film, le scénario nous révèle une volonté de conception par la soustraction. En effet, de nombreuses scènes disparaissent entre les deux versions du scénario, et certains dialogues sont retirés du film. La liberté d’Alex Garland se ressent aussi sur le style d’écriture du scénario. On quitte les cadrans classiques et structurés des scénarios aux écritures filmiques (à savoir qui ne représente que l’image) pour parfois partir dans des ressentis intérieur aux personnages. De plus, le scénario semble prédécoupé le film par des sauts à la ligne, comme si chaque paragraphe représente un plan, une action bien délimitée. On peut reprocher cette approche de metteur en scène aux scénaristes, mais la place atypique d’Alex Garland lui permet de prendre de l’avance en imaginant la partie technique de son film dès l’écriture. Les deux versions indiquent à de nombreux endroit les intitulés Cut To ou Cut Back To. L’usage de certains caractères littéraires comme le tiret viennent rythmer la lecture, permettant au lecteur de s’immerger dans la vision du film. On peut aussi noter le rapport à la programmation qui se fait ressentir dans le scénario par de l’écriture en basic, propre au langage informatique. Du reste, il s’agit globalement d’une écriture purement cinématographique, utilisant pourtant quelques ressorts littéraires comme « et soudainement » afin de retranscrire une forme de suspens que la mise en scène viendra soutenir. Une lecture à la fois complexe pour les non-initiés, mais qui permet tout de même de ressentir pleinement les envies filmiques d’Alex Garland par quelques figures de style.


Malgré sa liberté d’écriture, Alex Garland se retrouve dans un processus créatif assez similaire à celui du scénariste ordinaire. Aidé par Glen Brunswick lors de l’écriture, le réalisateur de Ex Machina est parti d’un premier jet qu’il a ensuite retravaillé, enlevant au fur et à mesure de nombreuses scènes afin de ne garder que celles qui apportent quelque chose à l’histoire. Alex Garland retira notamment de nombreux dialogues de mise en contexte, jugé non nécessaire, freinant le rythme du film. Le meilleur exemple reste la discussion entre Caleb et Jay, le pilote de l’hélicoptère. [...] La discussion se déroule sur deux pages, tournant autour du travail du personnage principal ainsi que son mystérieux patron, Nathan. [L'une des versions] se déroule dans une limousine Maybach. Pour rendre le personnage de Nathan encore plus mystérieux, Alex Garland a changé le moyen de transport dans la version Clean Shooting Script. Il ne s’agit plus d’un voyage terrestre mais d’un vol en hélicoptère, appuyant sur le fait que le lieu de rendez-vous est dans une zone inaccessible, et que la personne y habitant est suffisamment riche pour avoir un hélicoptère et un pilote sous ses ordres. Alors que la localisation est déterminée comme étant l’Alaska dans le scénario, Alex Garland préfère soustraire un maximum de dialogue, laissant uniquement place à la contemplation dans le film, ainsi que deux phrases du script original. L’information passé à travers les images du film sont suffisante (les grandes montagnes enneigés), et Alex Garland retire celles qui n’ont pas besoin d’être livré tout de suite au spectateur. Le scénariste tend à resserrer ses idées vers un but précis, comme un producteur le ferait envers un réalisateur afin de couper l’inutile. Mais ici, c’est le réalisateur qui garde le contrôle sur son œuvre, prenant du recul grâce à son co-scénariste, et passant par plusieurs relectures afin d’affiner le déroulé de son œuvre.


Durant le film, Caleb test à de nombreuses reprises l’intelligence artificielle Ava. Lors de la session V, Ava décide d’inverser les rôles, posant des questions à Caleb. Elle lui demande si ce dernier veut vivre avec elle. Caleb répond par l’affirmatif, allant même jusqu’à énoncer qu’il peut battre Nathan pour la libérer. Dans la version Clean Shooting Script, les scènes 76 et 77 sont coupés. Elles devaient représenter un moment d’errance de Caleb dans la maison avant de retrouver Nathan. Cependant, le film décide de modifier cela en coupant la réponse de Caleb et en réintégrant un mix des scènes 76 et 77. Cela permet, dans un premier temps, de donner un suspens quant à la réponse de Caleb sur ses sentiments envers Ava, appuyé par l’instant d’errance de la scène suivante, mais cela retarde aussi l’information quant à la volonté de Caleb de trahir Nathan. De plus, le spectateur ne sait pas encore à cet instant qu’elle est le but précis de Nathan envers Ava. Les changements entre les deux versions, puis le film, prouve une prise de recul par les scénaristes, permettant une meilleure compréhension des informations transmises au spectateur, et une meilleure distillation de l’intrigue. Le moment de flottement permet au spectateur de prendre le temps de réfléchir à la potentiel réponse de Caleb, et ce à quoi lui-même aurait pu répondre dans cette situation. En laissant plus d’interrogation, Alex Garland créé plus de mystère autour de ses personnages, ce qui renforce l’ambiance instauré tout au long du film. A l’inverse, donner la réponse de Caleb livre beaucoup trop d’informations au spectateur d’un seul coup. C’est en cela que le travail du scénariste est important, autant à l’écrit que sur le plateau. Alex Garland, connaissant l’ensemble de l’histoire, peut se permettre de la réécrire, de jouer avec les différentes versions établis afin de trouver le meilleur déroulé, cela même jusqu’au montage. Il devient une forme d’auteur parfait. Mais le travail de Glen Brunswick n’est pas à négliger, en plus de celui de l’ensemble de l’équipe technique, présent pour le relire, proposer des idées. Alex Garland décide en fonction de l’intérêt des propositions, ainsi que des différentes critiques et réceptions du scénario.


Comme notifié de nombreuses fois, la version Clean Shooting Script comprend de nombreuses scènes supprimées. Ces dernières expriment les différentes étapes de réflexions du scénariste et réalisateur. Tout d’abord, établir le gros de l’histoire, élargissant à de nombreux moments les traits. Puis au fur et à mesure, enlever le plus de détail répétitif par rapport aux images ou aux dialogues, pour créer cette ambiance de mystère qui baigne le résultat final qu’est le film. Le plus souvent, la séquence la plus difficile à écrire est la fin. [...] La version 8 montre uniquement la fuite de Ava du laboratoire de Nathan, après avoir tué ce dernier et abandonné Caleb. La version Clean Shooting Script ajoute une scène supplémentaire. Cette fin est celle qui sera intégré dans le film, faisant référence à une des sessions avec Ava dans lequel elle dit souhaiter se trouver dans un carrefour, une intersection piétonne dans une ville où elle pourrait observer de véritables êtres humains. Cette conclusion comprend beaucoup de réflexion. Son absence donnerait à voir un aspect très pessimiste, l’intelligence artificielle partant après avoir détruit son créateur. Va-t-elle tuer d’autres gens ? Les robots vont-ils régner sur le monde ? De nombreuses questions qui serait en contradiction avec le personnage de Ava. La fin donnée au film pose d’autres questions. Ava n’est finalement qu’une personne parmi tant d’autres sur les dernières images du film. On retrouve ici une lecture biblique, Ava ayant détruit/déçu son créateur, se retrouvant ainsi mélangé à des milliers d’êtres humains pour vivre une vie en dehors du laboratoire. Une fin vient souvent déterminer la morale que le film cherche à délivrer. Sauf que l’interprétation d’un scénariste envers son œuvre peut se retrouver biaisé. C’est pour cela qu’il a besoin d’un point de vue extérieur. Alex Garland le sait bien. Un réalisateur et scénariste doit être conscient de ses propres défauts. Il ne peut pas tout faire seul. C’est pour cela que le film Ex Machina n’est pas à mettre sous la coupole de la politique des auteurs, mais bien d’une politique des collaborateurs.



Scénario



Version 8


Clean Shooting Script



Bibliographie



Lavoie, André. « À la recherche du scénariste perdu (et à jamais égaré?) » Ciné-Bulles, volume 20, numéro 2, printemps 2002, p. 2–3.

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le 20 déc. 2021

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