EXPERIMENTER nous laisse perplexe par sa mise en scène multidirectionnelle

Nous attendions impatiemment la sortie en France de EXPERIMENTER du réalisateur et scénariste Michael Almereyda, très peu connu en France et plutôt spécialiste de films d’épouvante. Plus que la réalisation d’un énième biopic, ce qui l’intéressait, c’était la possibilité de saisir toute l’énergie que peuvent mettre les chercheurs dans leurs expériences.


EXPERIMENTER est donc intéressant à plus d’un titre : le contexte, la vulgarisation d’un sujet de recherche portant sur le comportement humain et le point de vue du chercheur en question. Un traitement mi-documentaire, mi-fictionnel, qui rappelle quelque peu la façon dont la série Masters Of Sex raconte les expériences du docteur William Masters.


Situons le contexte : nous sommes en 1961, le criminel nazi Adolph Eichman a été retrouvé en Argentine par le Mossad et est jugé à Nuremberg. Le Professeur Stanley Milgram, psychologue et spécialiste des relations sociales, se lance dans des recherches afin de comprendre les raisons du comportement des nazis dans l’organisation de la solution finale. Au même titre qu’Hannah Arendt dans son « Rapport sur la banalité du mal« , Milgram cherchait à évaluer le processus de l’obéissance et de la soumission à l’autorité d’un individu ordinaire devant une autorité qu’il jugeait légitime. L’expérience visait aussi à analyser le point de rupture entre la conscience de l’individu face aux actes exigés par cette autorité et sa marge de manœuvre à décider de ne pas obéir.


Tentant de vulgariser le sujet pour le spectateur lambda, à savoir un non initié en matière de psychologie sociale, EXPERIMENTER relate donc l’expérience réellement menée sur plus de 700 sujets entre 1960 et 1963 . Est ainsi décrit le protocole qui ordonne à l’individu testé (dit « l’enseignant ») d’envoyer une fausse décharge électrique à « l’élève », complice de Milgram, en cas de mauvaise réponse. Et le résultat, c’est que dans 65 % des cas, « l’enseignant » continue à suivre les ordres du clinicien jusqu’au bout de l’expérience et à envoyer les décharges électriques, même si « l’élève » hurle de douleur. Le parti pris du réalisateur est de placer le spectateur du point de vue de Milgram et de nous faire pénétrer dans son cerveau. Utilisant le même procédé que Franck Underwood dans House of Cards, le Professeur s’adresse ainsi au spectateur et lui raconte ce qu’il fait, et souvent ce qu’il pense. Ce développement est d’ailleurs le point positif du film puisque le spectateur assiste, tel le chercheur, aux réactions assez consternantes de la part des cobayes, et s’interroge évidemment sur la nature humaine, ses ressources et sa prise de conscience.


Devenues une véritable obsession, les recherches de Milgram ont très souvent été contestées et remises en question par d’autres chercheurs. EXPERIMENTER nous montre un homme seul, persuadé de son éthique, mais qui a vraisemblablement souffert d’une non reconnaissance de la part de ses pairs. Soumis à un fort stress, il s’est d’ailleurs épuisé jusqu’à sa mort précoce (à 51 ans) pour prouver qu’il avait raison et que les autres avaient tort. Son oeuvre fait aujourd’hui référence en la matière.
Sans doute fasciné par son sujet en tant que chercheur visionnaire et brillant, le réalisateur nous donne pourtant à voir un homme distant, froid, clinique, hautain, orgueilleux et pétri de certitudes, provoquant rarement chez nous l’empathie. Pour un spécialiste en relations sociales, le moins que l’on puisse dire, est qu’il était plutôt démuni !


Milgram est justement interprété de façon assez clinique et distanciée par Peter Sarsgaard (Ladygrey, Le Prodige). De son côté, la trop rare Wynona Ryder (Black Swan, Le Temps de L’Innocence) qui joue sa femme, son soutien indéfectible qui donne le recul nécessaire à son époux, apporte au film une touche de féminité.


Prometteur par son sujet sur le comportement humain, EXPERIMENTER nous laisse cependant perplexe par sa mise en scène. En effet, à trop vouloir bien faire dans son souci d’authenticité, le réalisateur se perd dans une multitude d’images qui mêlent aux décors réels des peintures de maisons, les archives de films du chercheur et les explications de Milgram. Néanmoins, le film plaira à coup sûr aux étudiants et aux chercheurs par sa vocation pédagogique certaine, et fera également réfléchir le fameux spectateur lambda à une question fondamentale : comment être certain de faire le bon choix moral en toute conscience ?


Critique de Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 31 janv. 2016

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