Une oeuvre légère plus qu'un thriller

Face à la nuit est présenté comme un thriller. Pourtant, plus qu'un scénario à retournement, Wi Ding Ho nous raconte antichronologiquement la vie d'un individu au travers de trois nuits qu'il a vécues à différentes époques de sa vie.


D'abord, Zhang Dong Ling est exposé en 2049. Si certains éléments font penser à un film de science fiction (puce dans la main, sérum de rajeunissement, dictature orwellienne), ils sont plutôt présents comme un symptôme de l'époque. Trop mis en avant, ils tendent à faussement nous orienter - le bus sans conducteur seul aurait suffit à ce que nous nous projettions en 2049. Zhang Dong Ling passe alors à l'acte en assassinant sa femme et un ministre. Plus qu'à nous intriguer sur ce que pourrait donner la suite du scénario, ces évènements tendent plutôt à nous enfoncer dans un brouillard et un flou scénaristique déstabilisants, au mauvais sens du terme. Attention toutefois, cette première partie n'est pas dénuée de beauté : que ce soit dans les moments d'introspection dans l'omnibus (sur la très belle bande originale de Robin Coudert), ou dans la conversation avec la jeune Ara, pour laquelle Zhang Dong Ling a porté un intérêt soudain (intrigant, celui-ci), et au cours de laquelle il semble se chercher, on suit véritablement un portrait psychologique. L'intérêt est, dès lors, plus porté sur le personnage que sur le scénario.


Dans la deuxième partie, Zhang Dong Ling a la trentaine. Policier investit dans son travail, il rêve de faire carrière, et se retrouve à poursuivre et arrêter Ara, la fille pour laquelle il avait porté un intérêt soudain dans la première partie. On comprend alors comment les deux protagonistes se sont rencontré, et on réalise que dans ses phases de perte de repère, c'était avec son amour d'antan que Zhang Dong Ling souhaitait se retrouver. En une scène, on comprendra les raisons qui ont poussé Zhang Dong Ling à tuer sa femme et un ministre : celle-là le trompe avec celui-ci, alors supérieur hiérarchique de notre jeune policier, et futur ministre. Pourtant, si cette scène d'adultère n'est pas particulièrement attendue, on n'en est pas non plus surpris. Une fois encore le film porte plus sur les conséquences que cette scène vont avoir sur Zhang Dong Ling plutôt que sur les rebondissements. On apprécie encore les scènes où, dans un bus ou après l'amour, une cigarette à la main, notre héros réfléchit, et le film prend une dimension poétique, presque contemplative. Et pourtant, et c'est là l'un des défauts de Face à la nuit, cela manque de rythme. Oui, il est plaisant de voir doucement évoluer une relation, de voir un personnage se tourmenter, mais c'est réalisé avec une lenteur si molle que l'on s'assoupit par moment. Il est cependant un élément de réalisation intéressant à noter dans cette partie du film : lorsque la soirée est filmée, elle est traitée d'une manière classique, presque clichée. Toutefois, et c'est là qu'est l'astuce, les personnages ne s'y attardent pas, comme si symboliquement, ils étaient uniques, n'étaient pas des clichés, et n'avaient pas leur place dans une soirée whisky et strip poker.


Enfin, la dernière partie est celle qui souffre le plus du manque de rythme. On est ébahi, dès le début de la première scène, par cette femme dont on ne sait pas de qui il s'agit, par la caméra qui la filme et la photographie. Cette scène aurait pu faire l'objet du coup de pinceau d'Edward Hopper. Celle qui s'avèrera être la mère de Zhang Dong Ling est installée au restaurant, dans un calme qui semble précéder une tempête. En effet, quelques secondes plus tard, on assiste à une course poursuite qui, même si elle semble sortir de nulle part, donne un rythme au film. Et au moment où l'on s'y attend le moins, le burlesque entre en jeu avec ce moment ou celle qui s'avèrera être la mère de Zhang Dong Ling court à côté de son fils, tous deux sont fugitifs, et celle-ci le pousse pour sauver sa propre peau. Pas sûr qu'il soit intentionnel, mais s'il l'est, ce burlesque inattendu témoigne d'une certaine ambition, d'une prise de risque de la part de l'auteur. Ce sera le seul moment palpitant de cette partie jusqu'à l'assassinat de la mère, puisque les dialogues trop faibles et la mise en scène trop froides nous privent de toute empathie à l'égard de ce jeune Zhang Dong Ling qui découvre que sa mère n'est pas morte, mais que c'est une ratée.


Finalement, Face à la nuit nous offre quelques éléments de réalisations léchés, des moments poétiques, d'autres psychologiques, mais ce n'est pas assez pour palier des dialogues trop pauvres, un rythme trop mou. C'est donc un film intéressant mais pas inoubliable.

Paulissimo
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le 23 juil. 2019

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