Futur scénariste de Batman : le défi, voilà comment Daniel Waters envisageait son projet avec Fatal Games (titre français insipide de Heathers) : en confier la réalisation à Stanley Kubrick pour qu'il en tire "le plus grand teen movie jamais fait". Dit comme ça, forcément, bonjour la modestie !
Mais Heathers est bien un beau, un grand film de garces. Imaginer un script pareil transcendé par Stanley Kubrick relève du fantasme, de ceux à ranger avec la version complète du 13e Guerrier McTiernan ou le Justice League que devait tourner George Miller à une époque. Pourtant, l'idée est évacuée très vite : au lieu d'un possible monument, on en a un autre, plus discret.
Heather, Heather et Heather sont les reines du lycée, trio inséparable qui domine la masse populaire à coups de sondages douteux, de réparties odieuses et de girl attitude détachée. Dans leur sillage, une apprentie (Winona Ryder, géniale) croise la route d'un étrange outsider (Christian Slater, dans son meilleur rôle avec True Romance). A eux deux, ils veulent changer les règles, donner corps à leur haine latente.
Heathers est un film-piège. Résumé comme ça, on dirait un gentil délire de rebelles. Ca, c'est ce qu'il tente de nous faire croire. Tout comme il essaie de se faire passer pour un film idiot. Sur ces deux tableaux, il réussit déjà brillamment. Car le réalisateur Michael Lehmann, pas dupe de cette façade sucrée, avait certainement conscience du flacon d'acide déguisé en après-shampooing qu'on lui offrait.
Habile dans sa manière de disséminer les gags cons pour en faire autant de ressorts scénaristiques brillants, Heathers ne choisit pas entre étude au microscope et exagération des archétypes. Il jongle avec, s'en amuse, les habille d'un linceul orné d'un smiley. Car le long-métrage fait sourdre une haine de soi et des autres d'autant plus hallucinante dans un film si lumineux, coloré.
Très soigné, Heathers tire le meilleur de son casting comme de ses dialogues, la mise en scène sacralisant un duo parmi les plus mémorables du teen movie US. Avec ses éclairages limite pulp (voir cette discussion à bâtons rompus dans une ruelle partagée entre un bleu profond et la chaleur d'un feu de joie), Heathers a une sacrée gueule, à tel point que son esthétique typée 80's, pourtant datée, tient carrément le coup aujourd'hui.
Ne sachant plus sur quel pied danser, on se retrouve bien vite à jubiler devant un objet aussi conscient de ses capacités subversives. Infiltrant un genre pour en détrôner le leader Breakfast Club, le film de Lehmann en est la version noire, préférant l'acte à la parole. Hargneux, délicieusement vintage et terrifiant de loyauté envers son propos, Heathers est aussi l'oraison funèbre d'un genre trop vite réduit à ses clichés.
Tout ce qu'il faut, en somme, pour effacer son léger manque de rythme et une affiche ratée (française comme américaine). Il faut dire que pour vendre un film pareil, pas évident de trouver le ton juste.
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