Des vues Lumière aux confins du monde

Dans une vidéo de présentation sur le site LaCinetek, Caroline Champetier fait un lien original et pertinent entre ce film et les "vues Lumière" au tout début du cinématographe (des prises de vue d’à peu près une minute). Few of us est sorti en 1995. Le moins que l’on puisse dire c’est que depuis les premières heures du cinéma, les techniques de captation d’images ont considérablement évolué. Pourtant, Sharunas Bartas utilise des moyens très simples, quasiment uniquement des plans muets, fixes et longs. Une sorte de retour aux sources mais sur un pôle à l'opposé de celui des célèbres inventeurs du cinématographe. Les frères Lumière avaient vite compris que pour faire connaître leur invention, il fallait envoyer des opérateurs dans le monde entier pour enregistrer et montrer des images. Des scènes de vie, des monuments célèbres, des visages... Le caractère crépusculaire du film de Sharunas Bartas le situerait sur un tout autre versant. Comme si l’un de ces "opérateurs Lumière" s’était égaré aux confins du monde, dans un endroit où la lumière, encre de l’écriture cinématographique disait Cocteau, semble s’éteindre ; où la vie des hommes n’existe plus que dans une forme primitive, comme un dernier témoignage d’une existence humaine sur le point de disparaître. Un parallèle intéressant.


Un plan m’a semblé particulièrement représentatif de ce caractère crépusculaire :

Un homme dont on ne sait quasiment rien - sinon qu’il semble fuir quelqu’un ou quelque chose - est en train de boire, accroupi dans un cours d’eau. Derrière lui, quelqu'un se poste et l’abat d’un coup de fusil dans le dos. Dans le plan suivant, l’homme s’écroule dans l’eau et son corps, emporté par le courant, sort du champ de la caméra. On ne suit donc pas la descente du corps, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre. La caméra ne bouge pas et continue de filmer le cours d’eau et son flot permanent, son clapotis scintillant et continu. De l’eau qui s’écoule inexorablement, image du temps qui passe ? Un temps que l’homme n’habite que pour une courte durée, condamné à une apparition furtive dans la fuite éternelle des heures et des millénaires ? Les interprétations sont multiples mais riches de sens.

jroux86
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le 7 avr. 2024

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