Figure phare de la bien trop mésestimée Nouvelle Vague japonaise, Yoshishige Yoshida a laissé une empreinte indélébile dans la fondation des nouveaux codes du cinéma nippon qui voulut s'affranchir du cahier des charges un peu trop rébarbatif à leurs yeux des anciennes générations. "Flamme et femme", oeuvre mineure de sa filmographie, nous honore une fois de plus d'une autre leçon de cinématographie. A l'exception de sa fameuse trilogie politique (Eros + Massacre, Purgatoire Eroïca et Coup d'Etat), ses scénarios ont toujours été à l'essentiel. Il y est ici question d'une famille en apparence bien sous tous rapports, tant familial que financier. Pourtant, Ritsuko est rongée de l'intérieur car elle sait que son enfant Takashi n'a pas comme père son mari vu qu'il est issu de l'insémination artificielle. La question posée est celle de la quête de vérité d'une jeune femme qui tient à balayer d'un revers de main les zones d'ombre de son rôle de mère. Les connaisseurs penseront vraisemblablement à son oeuvre testamentaire "Femmes en miroir" qui reprenait peu ou prou le même procédé mais où il était question d'une femme partant à la recherche de sa mère biologique.


Comme d'accoutumée avec Yoshida, il fait de la femme le centre névralgique de son récit. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il fut le disciple japonais de Michelangelo Antonioni qui en faisait de même. "Flamme et femme" pose des questions existentielles qui n'étaient que peu mise au goût du jour au Japon, à savoir la conception médicalement assistée. Comme vous le savez, les valeurs familiales étaient très fortes dans ce pays et la destinée de tout être humain est d'avoir un ou plusieurs enfants sans tenir compte des problèmes d'ordre sexuel. Le réalisateur égratigne cette manière de pensée et démontre la fatalité de certains d'être biologiquement inaptes à la reproduction. Se pose en filigrane les questionnements relatifs à l'éthique médicale. Les opérations invasives de ce type engendrent encore des débats houleux quand bien même la rationnalité et le pragmatisme ont su être assimilés avec le temps vu que personne ne cherche à être flanqué d'une infirmité.


Notre Ritsuko est prise entre deux feux. Elle doit à la fois protéger son enfant et assumer son choix de l'IA (abréviation de "insémination artificielle"), le tout avec un mari austère qui ne l'aide psychologiquement en rien et qui n'a comme seul pouvoir que d'imposer sa domination masculine. Toutefois, celle-ci sonne faux, comme un aveu de faiblesse et non comme un signe d'assurance. La stérilité dont il est frappé implique une frustration donc un trouble émotionnel en plus de celui d'ordre physiologique. Intérieurement, il souffre et répercute son mal-être sur Ritsuko. Deuxième coup de semonce ici porté sur l'homme lorsqu'il est privé de sa vitalité sexuelle.


Mais Yoshida va encore plus loin et tacle du pied la pensée néo-féministe actuelle véhiculée par le militantisme arriéré (pléonasme) des réseaux sociaux qui a toujours érigé la femme en seule victime de l'IA. Pourtant, les choses sont loin d'être noires ou blanches (mais c'est le propre de l'extrémisme idéologique j'ai envie de dire). Le spectateur est frappé de toute part dans la dernière partie du film par la phrase choc mais réaliste : "Est-ce que l'on peut être le père d'un enfant même s'il n'est pas issu de notre patrimoine génétique ?". Le cinéaste évite la facilité de la souffrance à sens unique en partageant les tourments de chacun car l'IA frappe chaque parent du couple.


D'autre part, la Nouvelle Vague japonaise s'est toujours montrée critique, et à très juste raison, de l'impérialisme américain qui essayait d'imposer sa vision capitaliste où chaque humain est vu comme un objet de la grande machine économique. Conscient de cela, le père finira par hurler son désespoir de se sentir considéré comme tel même en tant que parent. Jusqu'au sentimental même, il y a perversion.


Sous ses apparats semblant être limités, "Flamme et femme" est tout son contraire et même dans sa mise en scène. Ceux qui connaissent bien le travail de Yoshida savent que son cinéma est exigeant, difficile d'accès, voire même expérimental. Je prends pour exemple Eros + Massacre et surtout Purgatoire Eroïca, véritable "brain damage" pour les courageux à avoir essayé. "Flamme et femme" ne déroge pas à la règle et se situe amplement dans la catégorie du cinéma d'art et d'essai que la pensée de l'ATG a érigé en dogme. Il multiplie les métaphores "tragi-cruelles". Premièrement, la répétition de scènes filmant un protagoniste (souvent Ritsuko) marcher seule sur une route, renvoyant évidemment à la sensation de solitude dans laquelle elle se trouve, sans soutien dans son chemin de la vie. Deuxièmement, les actes violents sur l'enfant, que cela soit l'assassinat même qui est partiellement suggéré ou la menace (cette voiture fonçant vers lui). On pourrait relier ça à l'angoisse inhérente frappant continuellement le lien maternel.


Sorti pourtant deux ans avant Eros + Massacre, il partage des accointances explicites avec lui : ambivalence scénaristique, altération de la temporalité, ontologie et préférence de l'aspect sensoriel. Le film s'enrichit de plusieurs niveaux de lecture que chacun percevra suivant sa propre expérience personnelle, ce qui en fait une oeuvre à débat qui plaira ou non mais qui ne laissera personne indifférent tant il y a synchronicité entre les différentes thématiques qui sont complémentaires l'une de l'autre. Un parallélisme qui force le respect. Et histoire d'élever davantage le pedigree, Yoshida confirme son statut d'esthète du noir et blanc avec une image proprement sublime et retrouve le visage angélique de sa muse Mariko Okada.


"Flamme et femme", un film fort et éveillé qui réclamera une attention de tous les instants. Je mettrai quand même en garde de ne pas initier la séance à 1h du matin comme je l'ai fait au risque d'en faire fuir plus d'un.



MisterLynch
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le 5 août 2022

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