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Vous voulez faire un bon polar avec seulement 6000 dollars ? Appelez Christopher Nolan !

Incroyable de voir que le premier film de Nolan, fait avec seulement 6000 dollars en poche, soit aussi bon ! On y retrouve déjà la plupart des éléments de sa filmographie : un héros imparfait, un jeu sur les temporalités, un début qui plonge dans le bain, une fin surprenante et qui claque, un personnage féminin toxique... Bref, le futur réalisateur de Memento, la trilogie The Dark Knight ou Interstellar savait déjà où il allait !


Le héros imparfait, c'est Bill, jeune chômeur solitaire aspirant à devenir écrivain, qui, pour tromper l'ennui et trouver l'inspiration, se met à suivre des gens au hasard dans la rue pour observer leur vie, leur individualité... Ce qui n'était qu'un passe-temps devient une véritable passion, et, transgressant les règles qu'il s'est imposé, il se met bientôt en danger en suivant une deuxième fois un homme qu'il avait aperçu dans la rue. Il se fait aborder par ce dernier, qui s'appelle Cobb, est cambrioleur et propose à Bill de devenir son associé... Il s'avère que Cobb s'intéresse aussi aux gens : il entre dans leurs appartements et viole leur intimité "pour l'adrénaline".


De ce scénario en apparence simple, Nolan va tirer un véritable jeu de dupes digne des meilleurs polars. En multipliant les temporalités d'abord. Trois fils narratifs suivant Bill à trois moments différents de l'intrigue s'entremêlent, eux mêmes racontés en flash-back par notre personnage principal interrogé par un policier. D'où une séquence initiale mystérieuse, où Bill raconte en voix off sa manie de suivre les gens. A qui parle-t-il ? Dans quel cadre ? Le mystère va encore être renforcé par des plans n'ayant a priori rien à voir avec ce qui se passe à l'écran. On devine que ces séquences font partie de la même histoire, mais pas au même moment.


Comme dans son futur Memento, Nolan va répondre aux questions aux fur et à mesure, changeant sans cesse de temporalité, l'un des fils narratifs renseignant sur ce qui se passe avant ou après, et faisant porter au spectateur un nouveau regard sur ce qui s'est passé ou ce qui va se passer... On découvre bientôt que le héros s'est fait manipuler, à la fois par son "complice" et par la femme qu'il aime, jusqu'à la révélation finale, où le spectateur découvre que lui aussi, comme son héros, s'est bien fait avoir...


Car c'est la perversité et le génie de Nolan : en refusant d'utiliser une narration linéaire, il brouille les pistes et au lieu de suivre ses personnages d'un oeil extérieur, il nous fait en quelque sorte participer à l'intrigue. On s'attache donc plus au personnage de loser brillamment interprété par l'inconnu Jeremy Theobald, et le suspens est plus grand, puisqu'en plus de ne pas vraiment savoir ce qui va se passer, le spectateur se demande pourquoi ça se passe... Et comme l'infortuné héros, on est manipulé de bout en bout, jusqu'à la stupéfaction finale.
Au final, on n'est pas frustré. On prend un immense plaisir à se faire mener en bateau dans le brouillard, et à tomber à l'eau à la fin.


Tout ce mystère est accentué par la photographie en noir et blanc. Au lieu d'être un inconvénient pour le film, le manque de moyens le sert. Le noir et blanc accentue la sensation d'étrangeté, d'insécurité, et le travail sur la lumière en ajoute encore plus, comme cette scène où Bill descend dans un bar malfamé dans un escalier presque entièrement plongé dans le noir, avec de rares taches de lumière vive. On a l'impression d'une descente aux enfers, d'une chute au plus profond des mystères et des embrouilles, et quand Bill ouvre la porte de la salle, on a l'impression que lui comme nous ne pourrons plus revenir en arrière, qu'on va se perdre dans cette salle remplie de ténèbres et de fumée.
On pense alors aux films noirs. Même noir et blanc, même travail sur la lumière, mêmes thèmes, mêmes personnages de criminels, de héros losers et de femmes fatales... Et le thème du voyeurisme fait aussi penser à Hitchcock, aussi dérangeant dans certaines scènes que Vertigo ou Fenêtre sur cour... Autres thèmes "hitchcockiens", la blonde glacée, le thème du faux coupable et le méchant, car "meilleur est le méchant, meilleur est le film"". Et Cobb (d'ailleurs repris dans Inception, cette fois en héros interprété par DiCaprio) est aussi machiavélique que Bruno Anthony dans L'inconnu du Nord-Express, aussi bien interprété par un autre inconnu, Alex Haw.
Bref, en plus de maîtriser parfaitement son histoire, Nolan connaît ses classiques.
Pour accentuer encore l'atmosphère, la musique, composée par David Julyan, est parfaite.


Comme quoi, pas besoin d'un budget de blockbuster pour faire un excellent film. Nolan nous l'a prouvé, et nous a prouvé aussi qu'avec un budget colossal, on pouvait surtout se casser la gueule (encore Inception).

augustemars
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de Christopher Nolan et Films vus en 2021

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le 2 mars 2021

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