C'est fou tout ce qu'on peut faire avec des crevettes.

♪♫


Quand j'étais à l'aube de ma vie, je rêvais de devenir un homme extraordinaire. Très jeune déjà, je fuyais le sérieux des adultes et l'immaturité des autres gamins, pour m'enfuir dans un imaginaire nébuleux typique de l'enfance. Un imaginaire qui n'avait pas encore été trop influencé par les médias (je n'avais pas la télé et n'avais lu que quelques bandes dessinées). C'était le mien, ça venait de moi.


Je me voyais aventurier, découvrant des territoires inexplorés, grand et beau, musclé, sûr de moi. Mais la réalité était tout autre.
J'étais un freluquet angoissé, nerveux et fragile, inadapté aux normes scolaires et perdu dans un monde que je ne comprenais pas.


En grandissant, j'ai peu à peu accepté que je ne serais pas le prochain Indiana Jones, que j'avais beaucoup à apprendre et que rien ne s'obtenait sans beaucoup d'effort.


Mais l'envie de devenir un être accompli subsistait.


Aujourd'hui je suis techniquement un adulte, et j'ai déjà du mal à me responsabiliser et à être indépendant, alors l'accomplissement, je te raconte pas. Il me faut accepter mes faiblesses, mes difficultés, faire face à l'existence comme chacun d'entre nous. Je suis négatif, manque de confiance en moi, ai toujours du mal à côtoyer les autres humains et je lutte parfois contre l'envie de me terrer dans le noir, loin de tout.


J'ai pourtant vécu de belles expériences, notamment en voyageant, voyages durant lesquels j'étais très enthousiaste et avenant ; motivé pour chaque opportunité de découverte. Mais le voyage, à long terme, devint lui aussi une fuite. À un moment donné, je me suis dit qu'il fallait me confronter à tout ce qui m'est difficile.


Passage de permis, travail à plein temps, mise en place d'une routine, intégration dans l'entreprise familiale, recherche d'indépendance, gestion administrative, échanges superficiels avec les gens... Autant de passages initiatiques obligatoires de notre société que j'ai pu parfois vivre comme un enfer.


J'ai cette fâcheuse tendance à tout analyser, à me plonger dans de profondes réflexions. C'est une qualité car je prends du recul et me remet en question, mais c'est également un défaut névrotique qui me freine et m'empêche de passer à l'action : faire, tout simplement.


Forrest Gump, lui, est bien différent de moi. Jugé handicapé dès sa plus tendre enfance, il se retrouve étreint dans un système métallique pour redresser son dos, et obtient des résultats de sous-doué au test de Q.I.
Grâce à sa mère qui croit en lui au point de faire des sacrifices, il est tout de même intégré au système classique et se retrouve harcelé par l'inévitable cruauté enfantine, qui prend souvent la différence en cible.


Mais à aucun moment du film Forrest ne se plaint. Il avance. Il court, même, fonce avec zèle vers ce qui l'attend. Et cet être jugé simplet va devenir un homme épanoui, riche et aimé.


Il prend ce qui se présente à lui, avec une candeur inconditionnelle. Il suit son instinct. Il ne va pas tergiverser sur le comment du pourquoi, lui c'est plutôt : « ah, la vie c'est comme ça ? Eh bien je fais comme ça lors. »
À ce propos l'on pense bien sûr à la fameuse réplique de la boîte de chocolats.


Même s'il ne fait que commenter objectivement tous les événements de son parcours, il ressent beaucoup choses. Mais ça le film ne le montrera pas directement, nous le laissant deviner; et il n'a pas besoin d'en parler, puisque ses actions sont son langage. On voir Forrest agir, et on comprend.


Cette candeur est loin d'en faire un soumis au regard des autres: il va avant tout suivre sa conscience, qui ne va pas changer depuis sa naissance. Tout en restant très à l'écoute des gens qu'il aime.


Le film, dans sa réalisation, est à l'image de son personnage : simple et extrêmement efficace. Bien cadré, focales là où il faut et bande son dosée avec soin, tout y est pour nous conter la fable du héros avec un émotion par laquelle on se laisse volontiers transporter.


Il est de ces œuvres qui, au delà de divertir, savent inspirer au spectateur beaucoup de réflexions sur sa manière de voir les choses. Après chaque visionnage, je me dis toujours que je devrais arrêter de surranalyser et théoriser, pour trouver la force en moi d'agir. Redevenir cet enfant sensible mais plein d'envies, ce garçon que j'étais et qui voulait devenir un homme n'ayant pas vécu sans but, un homme avec le CV improbable de Forrest.


Et puis il y a l'aspect historique -culturel et politique- du récit, où le scénariste s'amuse à faire passer ce héros innocent à travers des moments importants ou symboliques de l'histoire des U.S.A. On y trouve l'amour de Zemeckis pour ce pays, nous rappelant d'ailleurs sa version idéalisée des States tout beaux tout propres de son Retour vers le Futur.


Les U.S.A sont, comme tout état du globe, critiquables sous bien des aspects, mais le film illustre ce qu'il y a de très positif dans l'esprit des nord-américains : cette engouement au progrès, cet enthousiasme de pays nouveau où l'on veut construire, voir grand, foncer pour croquer la pomme à pleine dents.


Mais Zemeckis n'a pas fait l'erreur d'en masquer le revers. La vision horrifique de la guerre, bien que nettoyée pour rester accessible au grand public, montre assez justement la détresse et l'injustice des vétérans. Et le personnage de Jenny (Robin Wright, brillante actrice dont j'admire le travail en général) incarne tout ce que Forrest ne vit pas : Pendant que celui-ci existe en décalé, elle suit son temps comme la plupart des gens le font et a bien du mal à trouver sa place, mais porte aussi quelque chose de cassé en elle ; et si les horreurs que son père lui a infligées ne sont que suggérées, ça les rend d'autant plus dures.
Tous les passages un peu crus du film sont d'ailleurs suggérés et c'est un trait de génie : faire un film familial qui se comprend à différents degrés selon l'âge, sans risquer de choquer les plus jeunes ou les plus sensibles.


La tendresse, valeur si précieuse et sous-estimée, est omniprésente dans le récit, que ce soit par la musique délicate de Silvestri, la poétique plume qui ouvre et clôt l'aventure, et tant d'autres détails, ce film où l'on est tant remués devient paradoxalement coconeux et doux.


Quand Forrest Court, tout le monde cherche une explication à cette course, beaucoup veulent y trouver un sens profond, une démarche pour défendre une cause.


Mais Forrest court parce qu'il aime ça. Parce qu'il en a envie.


Nous pouvons rendre notre existence très complexe. Ou nous contenter de la vivre à fond.


Cette œuvre si riche et qui raconte tant de choses, dont certaines que j'ai dû omettre, est bien sûr portée par Tom Hanks dont l'interprétation d'un rôle casse-gueule est réussie avec brio. Il incarne Forrest sans le ridiculiser et parvient à le rendre attachant et adorable.
Michael Conner Humphreys, qui joue Forrest jeune, ne démérite pas non plus. De toute façon, tous les rôles sont bien castés. Le duo Forrest/Bubba, par exemple, a quelque chose de magique.


Non contente d'être touchante et complète, l’œuvre est avant tout truffée d'humour de situations et de dialogues originaux, et même en la connaissant bien, le rire est toujours présent pour ma part.


C'est pour toutes ces raisons que, plus qu'un bon film, Forrest Gump est à mes yeux un grand film.


Aujourd'hui, je me sens prisonnier de mes propres tares, je lutte pour devenir meilleur mais m'accroche aux pierres de la rivière de l'existence au lieu de me laisser porter par son courant comme le ferait Forrest.


Cependant je suis encore jeune, et j'y crois encore ; je vais travailler plus, adopter un point de vue toujours plus positif. J'ai d'innombrables défauts, qui n'en a pas ? Mais j'ai aussi de grandes qualités, et je compte bien les offrir au monde.


Devenir cet homme heureux et accompli. Cet homme altruiste et droit dans ses bottes. Celui que Forrest Gump, à chaque fois que je le revois, me redonne envie d'être. Celui dont je rêvais, enfant.

Veather
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le 19 juin 2016

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Veather

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