La production des États-Unis en 1953 se partageant quasiment à parts égales entre les westerns et les histoires de maris souhaitant se débarrasser de leurs femmes, on peut apprécier dans ce film-là le profil inhabituel du héros, un capitaine nordiste chargé de retrouver des fugitifs sudistes et de les ramener au Fort Bravo en une sorte de noria permanente et stérile, produisant chez lui une désillusion maussade. La rigueur morale et la morosité du personnage intriguent, et éloignent le propos de la simple anecdote, en minant sournoisement la figure du héros. Celui-ci ne jubile guère à prêter son (excellent) concours à des causes que le pays entier célébrait comme justes. Simplement, il excelle à le faire et se borne à obéir aux ordres, même s'il doit pour cela être haï de gens qu'il estime au demeurant. Autant dire que l'intrigue échappe pour une fois à un manichéisme généralement de mise dans ces affaires-là. Malgré tout, la caricature n'est pas exclue quand il s'agit de dépeindre les indiens, réduit à quelques cavaliers hurlants levant la poussière avec leurs poneys montés à cru. N'empêche, même au moment de confronter le héros taciturne à la horde sauvage, le scénario sait ménager un certain suspense en exposant les fuyards blancs aux stratégies guerrières diablement efficaces des indiens, qui ne sont traitées, elles, avec aucune condescendance. Reste la place de l'héroïne, la seule femme de cette histoire d'hommes, comme toujours, mais pas négligeable pour autant, du moins au début : véritable Messaline, elle ensorcèle le capitaine peu loquace et participe à l'évasion de quelques prisonniers après lesquels il devra galoper. Il la retrouvera au milieu d'eux, habillée en homme, agent sudiste comme les autres, bien que mue par des ressorts plus féminins (elle veut sauver son fiancé). Au final, elle récupère sa condition subordonnée de femme grâce à l'émergence en elle d'un amour qui la renvoie à sa soumission "naturelle" et les deux bonshommes se la partagent ou refilent comme un trésor de guerre sans plus qu'elle ose le moindre mot. Les vaches sont bien gardées, donc, il n'en faut pas demander davantage à un film de 1953, en général. Bon an mal an, ce western-là se classe parmi les meilleurs que l'année a produits et les acteurs (beaucoup de têtes connues revues plus tard dans Dynastie ou L'homme qui valait trois milliards...) s'en tirent plutôt pas mal.

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le 26 févr. 2019

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