Quand on évoque le genre super aujourd'hui, c'est se confronter aux soupirs de dépit, de ceux que l'on réserve aux pauvres égarés, si vous êtes sympathique, ou à ceux qui n'ont rien compris au cinéma et, plus généralement, à la culture.


Evoquer le genre super, c'est se confronter à une alternative malheureuse, avec d'un côté, la détestation d'un Marvel Cinematic Universe souverain, sur laquelle se greffe opportunément une véritable haine de l'empire Disney. De l'autre, le bateau ivre D.C., qui ne marche que par hoquets parfois fulgurants, mais dans l'ombre de la proclamée débâcle Justice League qui, encore deux ans après la noyade, alimente les polémiques dérisoires les plus lamentables.


Freaks devrait donc se présenter comme une bouffée d'air frais, voire une certaine forme d'acte de résistance pour qui vomit à longueur d'année et de manière métronomique, à la sortie de la salle, que ce genre de films, c'est pas du cinéma.


Tout d'abord parce que Freaks, ce n'est pas à proprement parler du film de super héros dans sa forme classique. Loin de là.


Car en effet, le film se tient au carrefour des influences de son duo de réalisateurs, dont l'un compte comme « exploit » l'adaptation sur grand écran de Dead Rising... La réussite de Freaks n'en demeure donc que plus improbable et extraordinaire encore.


Une réussite qui se bâtit sur la volonté de garder le plus longtemps possible une sourde menace inconnue hors champ, une menace permettant tout à la fois d'instiller une certaine tension et de s'interroger sur l'équilibre mental de ce père gardant sa fille enfermée dans cette maison aux allures de cloaque délabré. L'art de l'illusionniste Manoj Night Shyamalan n'est pas loin, tandis que la résonance d'un Room de Lenny Abrahamson pourra se faire plus d'une fois entendre dans des allures de huis clos claustro.


Un huis clos qui devient de plus en plus étrange dans cette chambre où Chloe est enfermée quand elle défie l'autorité de son père, et où surgissent des étrangers avec lesquels on entre en contact.


Et qui est ce marchand de glaces qui rôde autour de la maison, comme s'il désirait attirer les enfants dans son camion pour en faire son quatre heures ?


S'il trahit parfois un peu son budget visiblement étriqué, Freaks le transcende en aérant son huis clos initial, le colorant de culture manga / comics, de drame intimiste et de science fiction porté par de superbes acteurs, Bruce Dern et Emile Hirsch en tête, illustrant les deux faces d'une même pièce, tout en étant opposés dans leurs méthodes.


Mais le spectateur gardera en mémoire, à coup sûr, l'évolution de la petite Chloe, dont la caméra épouse longtemps le regard et le point de vue, ébloui par exemple quand la porte de sa maison vient à s'ouvrir, comme si soudain le monde dans lequel elle est confinée s'éclairait. Une enfant qui grandit et qui défie les règles paternelles, sait jouer de ses allures gamines avant de se montrer capricieuse, voire cruelle. Tandis que son évolution suit le choix des réalisateurs de ne lever que très progressivement le coin du voile sur le monde caché du dehors et sa réalité d'une noirceur assez glaçante.


Ici, nul besoin de millions de dollars ou de la perfection infographique pour convaincre. Seulement de mélanger avec intelligence les influences, tout en restant au plus près des émotions d'une jeune héroïne plongée dans une jolie dramaturgie personnelle à l'épreuve du monde tourmenté des adultes.


Faisant de Freaks un nouveau mutant immédiatement séduisant et d'une puissance peu commune capable de largement tenir tête aux deux colosses de l'industrie.


Quant à ceux qui viendront vous affirmer que les actuels films de super héros restent médiocres tout en descendant ce Freaks dans un même élan, ils devront s'interroger moins sur la supposée non qualité des oeuvres que sur leur propre aversion viscérale d'un genre qu'ils n'hésitent pourtant jamais à vouloir s'infliger de manière systématique.


Behind_the_Mask, qui n'a pas besoin de cape pour s'envoler.

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le 19 sept. 2020

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