Mais où est passé Brad Pitt ?

Je poursuis ma découverte quelque peu éclatée de la filmographie de Fritz Lang. Après Le Testament du docteur Mabuse, qui m'a un peu déçu, c'est au tour de son premier film américain, Furie, d'être confronté à mon avis éclaté au sol.


Premier point qui saute aux yeux et que j'ai déjà évoqués dans l'intégralité de mes critiques des films du réalisateur : Fritz Lang n'aime pas la foule. Bon là, encore mieux, la foule est carrément le principal problème du récit, celle-ci s'étant donné pour but de lyncher Joe Wilson (incarné par un Spencer Tracy qui, comme quantité d'acteurs qui travailleront avec Lang, ne voudra plus retravailler avec lui par la suite). Au pire, il fait carrément dire à Katherine Grant (Sylvia Sidney) : « Une foule ne pense pas ». On ne peut pas être plus clair.

On pourrait d'ailleurs faire le rapprochement avec une sorte de marche impériale lorsque celle-ci s'avance vers le commissariat dans le but de lyncher Joe. Une marche inarrêtable, écrasant les quelques gardiens du commissariat ne serait-ce que par sa hauteur, sans parler de la musique dans le ton.

Bien qu'il traite le sujet sérieusement, on sent que Fritz Lang s'est fait plaisir par moment, introduisant quelques scènes comiques à l'intérieur de son film, chose plutôt rare chez le réalisateur, comme cette scène chez le barbier qui terrifie ses clients ou, quelques instants plus tard, cette image de poulailler, juste après que des commères eurent mésinformé le plus de monde possible comme il se doit.

Forcément, le long ne se contente pas de critiquer bêtement les foules, il est heureusement allé plus loin que ça. En fait, son premier film tourné chez les amerloques se veut tout autant être une critique de l'Allemagne nazie que des États-Unis de l'époque. Sans surprise, et comme il l'a déjà fait par le passé, le réalisateur s'est intéressé à un sujet avant d'entamer la réalisation de son long-métrage (le scénario provient d'ailleurs d'un écrit de Norman Krasna, qui est inspiré d'une histoire vraie). Le film critique les lynchages donc, mais aussi la discrimination, le renfermement de certaines communautés sur elles-mêmes, n'hésitant pas à mentir sous serment afin de se défendre mutuellement. On se retrouve donc face à un parallèle intéressant entre l'Allemagne Nazie et les États-Unis, sans pour autant que (fort heureusement) les deux pays soient mis sur le même pied d'égalité.


Autre apport de Fritz Lang avec Fury : le rôle des journalistes et leur rapport à l'image.

Dépeints comme des personnes sans scrupules, prêts à tout pour obtenir un scoop, de belles images : ce n'est pas la véracité des faits qui importe pour eux, mais bel et bien une certaine diffusion de l'information, qu'importe qu'elle soit vraie ou fausse, qu'importe si des innocents sont victimes de violences, voir pire. « Comme en vrai » ?… Alors en fait, oui. À plusieurs reprises, des journalistes assistèrent à des lynchages, des pendaisons, sans que cela leur posa le moindre problème.

Leur second rôle concerne le traitement de leurs images puisque celles-ci seront réutilisées lors du procès. Il me semble que c'est une première dans le cinéma : ce qui a été auparavant filmé est utilisé comme preuve, en l'occurrence contre la foule qui a agressé Joe Wilson. D'ailleurs, manière pour Fritz Lang de birser le quatrième mur, la première utilisation de ces mêmes images se fait… au cinéma. Joe passant l'intégralité de sa première journée dans une salle obscure après sa tentative de meurtre, regardant en boucle les images de son agression (que le public semble beaucoup apprécier). Après, reste tout de même les angles de caméra « adoptés » par les journalistes : vu les images qui sont montrées lors du procès, il est très clair que ces images ne puissent pas provenir de la diégèse du film. Bien sûr, sans les images en question, on n'aurait pas pu voir en gros plans les accusés… sans parler du fait que Fritz Lang était parti dans un délire un peu plus fantastique à l'origine, avant d'être réfréné par les producteurs.


Malheureusement, Fury reste un film tourné chez les ricains, avec des producteurs ricains, et des conditions de ricains. Il suffit d'avoir vu quelques-uns des précédents films du réalisateur pour se rendre compte que le film dont il est question ici se révèle trop optimiste, finit sur une note bien trop mièvre… au point où on pourrait même se demander si c'est bien Fritz Lang qui l'a réalisé. Et justement, la MGM, en plus d'avoir refusé les premiers scénarios proposés par Lang, lui a demandé de tourner une fin différente que celle prévue initialement : une fin dans laquelle le personnage principal se repend, traverse l'entièreté du tribunal avant de se confesser au juge, pardonnant ainsi à ses bourreaux et pouvant alors reconquérir sa femme. C'est d'un niais ! Encore plus ridicule que la fin d'un Metropolis… qu'il n'a jamais vraiment assumé non plus.

Dans le même ordre d'idées, les producteurs ont insisté pour que le personnage principal soit un Monsieur Tout-le-monde, auquel le public pourrait facilement s'identifier, et non un homme de couleur, ce qui aurait été plus raccord avec le propos du film, ce qu'il dénonce.

Enfin, toujours côté scénario, le film souffre de quelques facilités, pas loin d'être consternantes. Outre la caméra omnipotente que j'ai déjà mentionnée plus haut (et qui à la limite possède une certaine logique), le coup de se pointer avec l'ancien manteau de Joe au tribunal, qui plus est devant sa femme, est complétement con… et ça le devient encore plus quand on s'aperçoit que celui qui porte le manteau n'a même pas pensé à en vider les poches bourrées de cacahuètes (oui, le personnage principal est tellement fan des cacahuètes qu'il en remplit constamment ses poches, je ne juge pas). Le but de ces facilités scénaristiques étant que la femme de Joe devine qu'il est encore en vie, le fait de s'en tenir à la mauvaise prononciation du mot « souvenir » (« momentum » en anglais) suffisait amplement, alors que ce n'était déjà pas forcément très subtil. Là, ça donne surtout l'impression que les personnages sont tous un peu débiles.


Heureusement, le style de Lang n'a pas entièrement disparu avec Fury. On retrouve par exemple le regard face caméra de l'épouse de Joe, lorsque ce dernier est dans sa cellule alors que le commissariat est en train de brûler ; les surimpressions ; ainsi que l'overlapping, le fait qu'une phrase commencée dans une scène X se prolonge lors d'une scène Y.

Aussi, si le fait que le film aille decrescendo une fois la scène de l'incendie terminée l'empêche d'être cathartique (si c'est ce que vous souhaitez voir, tournez-vous vers Darkman de Sam Raimi), cela permet de créer une sorte d'« effet miroir », de retrouver un film qui, dans sa seconde partie, va réutiliser des éléments présentés lors de la première (la vitrine, les cacahuètes, etc.) tout en inversant les rôles, le rapport des forces : Joe tenant alors entre ses doigts la vie de ceux qui n'ont pas hésité une seule seconde à achever la sienne.

Enfin, Lang confirme une nouvelle fois son statut de Hitchcock allemand. Peut-être même plus ici : l'injustice étant au centre du récit, c'est un thème que son compère britannico-américain n'aurait pas renié. D'ailleurs, Hitchcock venait à peine de sortir la première version de son Homme qui en savait trop lorsque la production de Fury débuta… un Homme qui en savait trop avec un certain Peter Lorre à l'intérieur.


Si Fury n'est pas le film que souhaité réaliser Fritz Lang à l'origine, qu'il fait un peu léger face à un Testament du Docteur Mabuse, force est de constater qu'il s'en tire tout de même très bien. Loin d'être le meilleur film de sa carrière, on ne se retrouve pas non plus face à une œuvre qui fut totalement aseptisée par les producteurs… comme le connaitront de nombreux réalisateurs étrangers s'étant exporté aux États-Unis par la suite.

En tous cas, je peux dire, même si j'en ai vu aucun durant ses 90 minutes, que c'est mon film de furry préféré.

Créée

le 12 août 2023

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MacCAM

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