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Il est indéniable que dès sa genèse en 1965, Gamera s’est imposé comme une réponse au succès croissant de Godzilla, venant mettre à mal le monopole du plus célèbre des lézards radioactifs en creusant son propre sillon. Concernant ce reboot de l’ère Heisei, le statut d’ersatz est déjà dépassé dans l’inconscient japonais, la franchise s’étant légitimée par huit films. Pourtant, de l’origine du monstre aux échecs parodiques de la bureaucratie et du gouvernement, en passant par la connexion spirituelle d’une fillette à la créature, tout y est. D’ailleurs, dès les premières minutes où l’on nous présente un vaisseau transportant du plutonium, le Kairyu Maru, on peut déceler cette acceptation de filiation. Maru est le suffixe apposé aux navires, tandis que Kairyu se réfère aux courants marins tout en frisant l’homophonie avec kaiju. Je ne parle pas japonais, pas le moins du monde, et cette analyse est probablement complètement à côté de la plaque, mais il est possible que cela ancre Gamera dans le courant du kaiju-ega par un calembour naval.
Même pour un néophyte comme moi, comptant sur les doigts d’une main les productions nippones du genre que j’ai vu (quatre Godzilla et ce film-ci), les codes sont évidents. J’apprécie donc que le film ne perde pas de temps et rentre immédiatement dans le vif du sujet, quitte à sabrer le travail d’exposition de la plus artificielle des manières, à coup de dialogues qui n’ont pas lieu d’être du type : “si par accident il se passait ça, alors cela provoquerait ça, comme tu le sais d’ailleurs”. Alors outre ces béances dans la finesse, on découvre une chouette musique de Kow Otani (Shadow of the Colossus), et des effets visuels qui alternent le chaud et le froid, mais qui font toujours dans la générosité.
Si les visages des marionnettes sont assez risibles, que la turbo-carapace est ridicule, tout le jeu du gigantisme fonctionne malgré la vétusté évidente de l’entreprise (4,5m$ c’est peanuts à l’échelle hollywoodienne). Mais on sait que l’exubérance qui accompagne nombre d'œuvres japonaises fait partie intégrante du particularisme culturel de l’archipel. Une acceptation tacite de l’invraisemblance qui trouve ses racines dans la primeur de l’expressivité et des émotions sur le reste, déjà affichée dans le théâtre No. Il est donc logique que l’on retrouve un paquet d'œuvres au budget modéré mais aux ambitions spectaculaires démesurées, comme c’est ici le cas.
Il y a ainsi de très beaux plans, figés dans une photographie léchée, qui côtoient d’autres bien plus hasardeux dans leur éclairage et leur composition. On pensera notamment à ce nid de Gyaos, perché sur la Tokyo Tower abattue par les missiles de l’armée, symbole d’une société qui a trop tiré sur la corde. On y voit la silhouette du volatile millénaire se découper, perchée sur les décombres et couvant sa progéniture, avec en fond un ciel crépusculaire, symbolique de l’Apocalypse provoquée par l’activité de l’homme. Le Gardien de l’Univers tutélaire vient nous garder de nous même. Ce ne sont pas les radiations qui sont cette fois coupables, mais la pollution humaine. Si la société Atlante a précipité sa propre fin, nous suivons le même chemin.
Le premier volet de la trilogie Heisei est imparfait, boursouflé de maladresses scénaristiques et visuelles. Mais il est également perclus d’idées originales (comme l’utilisation d’un stade de base-ball pour capturer les Gyaos) et d’une sincérité de ses artisans qui passeront quinze années de leur vie sur ces trois films. Imparfait mais recommandable, et surtout, donnant envie de découvrir les suites qui ont encore meilleure réputation.