le 26 août 2025
Le cri des sans voix
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Un panoramique latéral, lent, suspendu, traverse l’espace étouffé d’une laverie automatique. La caméra glisse sur une rangée de clients assis, absorbés par leurs téléphones, indifférents aux images d’émeutes et de matraques qui hurlent, muettes, depuis l’écran d’une télévision fixée au mur. C’est Hong Kong, 2019 : les manifestations contre le projet de loi d’extradition vers la Chine continentale, réprimées par une police lourdement militarisée, avec leurs cortèges d’arrestations massives et d’images virales de brutalités policières, l’insurrection filmée en temps réel, diffusée en fond d’habitude, digérée par l’inertie des corps. Ce geste inaugural n’a rien d’un simple dispositif de contextualisation. Il introduit une manière de voir — ou plutôt de ne plus voir — qui irrigue toute la matière de Gangs of Taiwan : une société fatiguée, lessivée par la répétition du désastre, anesthésiée par le bruit médiatique, incapable d’intégrer l’événement autrement qu’en motif décoratif.
Le regard de KEFF observe avec une patience froide et une composition maîtrisée qui évite tout effet appuyé. Il installe un climat saturé, visuel et moral, où la violence ne produit plus d’événement. L’insurrection, reléguée au coin de l’œil, devient rumeur. Ce qui se joue est moins une politique de l’image qu’une politique de l’absence : absence de réaction, de relais, de résonance. Dès le premier plan, ce qui s’impose est la dissolution collective : plus de foule agissante, seulement des individus côte à côte, isolés dans leurs silences. En arrière-plan, plane l’idée que ce qui s’est produit à Hong Kong en 2019 — la répression, les arrestations de masse, l’étranglement juridique entériné par la loi sur la sécurité nationale en 2020 — pourrait advenir ici. Taipei apparaît comme un espace social atone, vidé de sa capacité à faire monde, où les interactions n’ont plus de friction et se réduisent à des usages accessoires. Ce délitement s’inscrit dans un temps lent, structurel, où l’exception devient la norme et où le repli individuel s’impose. Zhong-Han (Liú Wéi-Chén), silhouette mince et voûtée, y apparaît comme employé de cuisine muet dans une cantine populaire des vieux quartiers. Il ne parle pas mais la mise en scène le raconte autrement : par sa manière de rester en marge, d’habiter le silence, d’absorber la violence sans la rendre. Son mutisme devient un langage, la caméra le maintient à distance, souvent partiellement occulté par l’architecture ou la foule. Ce refus du gros plan préserve son opacité, le soustrait aux codes narratifs qui le réduiraient. Cette figure reflète un pays en sidération stratégique, conscient de la pression chinoise mais privé d’un langage commun pour y répondre. Zhong-Han devient métaphore de Taïwan : repliée, silencieuse, traversée par des forces extérieures, condamnée à observer plus qu’à agir — allégorie insulaire d’un territoire en perte de prise sur son propre destin.
Lire le reste de la critique ici : https://onsefaituncine.com/critique-gangs-of-taiwan-chronique-dune-extinction-ordinaire/
Créée
le 13 oct. 2025
Critique lue 6 fois
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