Une maxime bien connue dit que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». D’une certaine manière, c’est un proverbe qui s’applique bien au premier film de Jordan Peele. Dans Get Out, Chris est invité à rencontrer pour la première fois les parents de sa petite-amie et, pendant quelques jours, à séjourner dans leur grande villa de campagne. Seul problème : Chris est afro-américain et sa belle-famille est blanche. Et cela suffit à inquiéter Chris. Bienvenue dans l’Amérique de Trump !


Surfant sur cette nouvelle vague de long-métrages indépendants usant des codes du cinéma de genre pour délivrer un propos ostensiblement politique, Get Out s’attaque au sujet délicat des tensions raciales aux États-Unis avec pourtant de nombreuses cordes à son arc. À commencer par un premier acte qui distille, derrière les rires jaunes, un malaise et un inconfort finement dosés. Certaines fulgurances visuelles rappellent Under the Skin de Jonathan Glazer ou Prince des Ténèbres de John Carpenter, le réalisateur-scénariste Jordan Peele et l’équipe technique semblant ne pas cacher leurs influences. Le pitch initial du film laisse également entrevoir la promesse d’une satire originale tordant le cou à l’un des pires clichés des comédies romantiques américaines : la rencontre entre la belle-famille aisée et le providentiel prétendant au poste de gendre.


Mais de là à susciter un éloge presque unanime de la presse et du public ? L’originalité du script laisse à penser que cela est mérité, mais ce serait fermer les yeux sur un certain nombre de points problématiques. Parce qu’au-delà de son premier acte, certes réussi, il est facile d’imaginer les grandes lignes de la suite du scénario trouvées autour de quelques verres, lors de ces fameuses soirées où les discussions enflammées regorgent de fausses bonnes idées : « Ah ouais je sais ! Imagine qu’en fait la seule raison pour laquelle on nous persécute, nous les Noirs, c’est par jalousie pour notre physique et nos aptitudes ? C’est vrai quoi, les Blancs nous félicitent souvent que pour nos capacités sportives ou artistiques ! ». La subtilité, pourtant très bien intégrée jusque-là dans le cadre de l’intrigue, semble soudain jetée aux oubliettes dès le deuxième acte : tout personnage qui n’est pas strictement afro-américain (parce que l’on verra bien dans le film des personnages d’origine asiatique ou latinos) ne sera qu’au mieux moqueur, au pire révulsant de haine. Enfin, le film brandit le plan « choquant » de ses antagonistes dans un dernier élan de bravoure, un plan d’un machiavélisme de série Z qui finit d’aliéner toute la pertinence d’une dénonciation. Le propos finit de se noyer dans le genre qu’il essaie de s’approprier, un vrai sabordage.


Bien entendu, il n’est pas difficile de comprendre que le film tente d’illustrer la perte identitaire et culturelle de la population afro-américaine au profit d’un formatage de la pensée aux valeurs « blanches ». Mais Get Out mets en scène son propos de la manière la plus maladroite possible. Là où BlacKkKlansman de Spike Lee insistera avec intelligence l’année suivante sur la nécessité d’une véritable cohésion sociale et d’une évolution des mentalités des différents groupes ethniques passant par l’abandon des a priori, Get Out ne laisse transparaître que la réplique communautariste. Un des sous-textes possibles du film serait que la population afro-américaine est la seule minorité persécutée dans ce melting-pot raté que sont les États-Unis. Troublant…


Peut-on alors raisonnablement espérer éteindre cet incendie que sont les tensions raciales aux USA en jetant de l’huile sur le feu ? Chacun est juge, mais seul l’avenir tranchera. En définitive, si le motif du film reste louable, l’exécution prend le risque, elle, de perdre son spectateur en chemin. Get Out est à l’image de son pays d’origine : paradoxal et contradictoire.

VincentGrondin
5
Écrit par

Créée

le 11 déc. 2020

Critique lue 151 fois

1 j'aime

Vincent Grondin

Écrit par

Critique lue 151 fois

1

D'autres avis sur Get Out

Get Out
BobChoco
5

I told you so

Bon, pour ceux qui n'ont pas vu le film, passez votre chemin. Ce qui m'a attiré de prime abord, c'est le "genre : horreur" annoncé par la com sur la toile couplée au pitch: "Chris est noir. Chris...

le 22 mai 2017

136 j'aime

15

Get Out
Behind_the_Mask
7

I am not your negro

Wahou ! C'est que c'était bien, finalement, Get Out ! Behind est soulagé car il craignait d'avoir payé sa place pour un pamphlet politique qui aurait dépassé son genre de départ, que le masqué...

le 4 mai 2017

120 j'aime

7

Get Out
Clairette02
8

Man, I told you not to go in that house.

Des bienfaits de ne pas trop se renseigner sur un film... Je suis allée voir Get out en pensant qu'il s'agissait d'une comédie, portant sur le racisme aux Etats-Unis. Pas sûr que le terme de...

le 1 mai 2017

99 j'aime

8

Du même critique

Get Out
VincentGrondin
5

ONLY Black Lives Matter ?

Une maxime bien connue dit que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». D’une certaine manière, c’est un proverbe qui s’applique bien au premier film de Jordan Peele. Dans Get Out, Chris...

le 11 déc. 2020

1 j'aime

Star Trek - Sans limites
VincentGrondin
6

Star Trek sans panache

À l'exception de J. J. Abrams, pas grand monde peut se targuer d'avoir apporté une contribution majeure à deux des plus importantes franchises de science-fiction et des monuments du genre space...

le 20 janv. 2021

1917
VincentGrondin
10

Mémoire ravivée

Immersion. Un terme dont on use et abuse lorsqu’il s’agit de parler d’expérience sensorielle. C’est bien simple : dire d’un film qu’il est « immersif » est presque devenu cliché, tout juste associé à...

le 19 déc. 2020