Cet épisode a été conçu de manière précipitée et est sorti la même année que « Mothra contre Godzilla« , en 1964. Et qui dit production précipitée, dit généralement qu’il y a des choses qui n’iront pas dans l’histoire et/ou dans la réalisation. Mais on s’attardera là-dessus plus tard. La raison de cette précipitation est purement financière : Toho produisait « Barberousse » de Akira Kurosawa, qui a pris du retard et a été repoussé. Et le studio ne pouvait pas se permettre de ne sortir aucun film à la période des fêtes de fin d’année. Ils ont alors lancé la production, en seulement six mois, d’un nouvel épisode de Godzilla, une licence leur assurant de bonnes recettes.
Alors qu’une mystérieuse vague de chaleur envahit le Japon en plein hiver, une pluie de météorites s’abat sur les montagnes. Dans la nuit, la princesse Selina Salno (Akiko Wakabayashi) est kidnappée dans son jet privé par des extraterrestres. Lorsqu’elle réapparait sur Terre, elle affirme venir de Vénus. Elle prédit le retour de Rodan et Godzilla, mais surtout la destruction de la planète par un monstre venu de l’espace nommé Ghidorah. Alors que ses prédictions se confirment, les Shobijin (Emi Ito et Yumi Ito) demandent à Mothra de revenir afin de convaincre Godzilla et Rodan de s’allier face à la menace que représente Ghidorah.
Toujours désireux d’attirer un public plus jeune, le studio adopte pour cet épisode un véritable tournant dans la franchise, qui sera définitif : désormais, Godzilla est dépeint en tant que héros, et non plus en tant que méchant principal. L’épisode précédent ayant connu un grand succès en salle, il était normal de voir Mothra faire son retour. Rodan n’est pas non plus un nouveau kaiju puisqu’il a eu droit à son propre film solo en 1956. C’est donc un monstre récupéré et fusionné. Godzilla devenu un héros, il fallait lui trouver un super méchant à sa mesure : et c’est ainsi qu’est né Ghidorah, monstre totalement inédit et le plus mythique adversaire de notre lézard géant. Mais, avec un budget aminci et très peu de temps pour écrire et tourner ce film, arrive le principal problème : l’ajout d’humour.
Et de l’humour, il y en a beaucoup dans ce film, que ce soit intentionnel ou non. Le combat de Godzilla contre Rodan en est un bon exemple : le ptérodactyle passe son temps à frapper le crâne de Godzilla comme un pic-vert. Mieux encore, Rodan fait le bruit d’un avion lorsqu’il vole. Et la simple vue de Godzilla et Rodan qui se lancent des rochers en faisant des coups de tête comme si c’était un ballon de foot vous fera forcément sourire. On remarque par ailleurs que quelque chose ne colle pas mais on met un petit moment avant de mettre le doigt sur le problème : les monstres ont été rendus anthropomorphes, aussi bien dans leurs attitudes que leur gestuelle. Les combats ne mettent plus en scène de gros monstres qui se battent au ralenti à cause de leur masse imposante, mais des lutteurs en plein match accéléré (ce que je reprochais déjà au « Retour de Godzilla« ). Le plus troublant exemple en est ce moment où Rodan, Godzilla et Mothra s’assoient en cercle pour… discuter et débattre s’ils doivent aider les humains en se débarrassant de Ghidorah (et Godzilla refuse au début prétextant que les humains le maltraitent trop…). Ce débat étant traduit en temps réel et au comble du ridicule par les Shobijin.
Concernant les effets spéciaux, là encore le film se ramasse un peu. Forcément, il s’agit d’un problème de budget et de délais serrés. Le souffle radioactif bleu de Godzilla, par exemple, réalisé par la technique du rotoscoping sur les précédents épisodes, est remplacé ici par de la simple vapeur. De la même manière, les marionnettes utilisées pour les gros plans des monstres ne correspondent pas du tout aux costumes portés par les acteurs censés les incarner. Heureusement, il y a aussi de bons points, comme par exemple l’insertion des Shobijin parmi les autres acteurs. Il n’y a que quelques mois qui séparent ce film du précédent et pourtant ici, la technique est bien plus propre. Certaines séquences employant des maquettes, comme l’attaque de Ghidorah sur Tokyo, sont également plutôt agréables. À noter que dans cet épisode, Mothra apparaîtra uniquement sous forme de larve. La principale raison étant que, Rodan et Ghidorah sachant déjà voler, ajouter Mothra sous sa forme de papillon aurait fait de Godzilla le seul monstre incapable de voler et aurait déséquilibré le film.
On en arrive au dernier point à aborder, qui est le plus intrigant et un cas assez inédit dans la franchise : l’histoire des humains est incroyablement bien développée. En fait, ce qui est étonnant ici, c’est que l’histoire de la princesse enlevée par des extraterrestres, mais aussi la sous-intrigue des assassins qui la cherchent pour la tuer, est si bonne que le film aurait été tout aussi intéressant sans les monstres. Bon ok, peut-être pas « tout aussi intéressant », mais c’est un point à soulever quand, dans ce genre de film, la partie concernant les humains est bien travaillée. Ce qui est ridicule, c’est de se rendre compte que c’est peut-être ce qu’il y a de mieux dans le film.
« Ghidorah, le monstre à trois têtes » n’est assurément pas le meilleur épisode de la franchise et on ne peut pas vraiment vous le recommander. Le film frôle parfois le ridicule, mélange de l’espionnage, de la science-fiction, du mystère, et se sert dans à peu près tous les genres qu’il trouve pour créer un amalgame comique. Si ce n’était pas pour assister à la première apparition de Ghidorah, ce film n’aurait pas grand intérêt au sein de cette licence. Mais on reconnaît quand même qu’un sacré boulot a été accompli en quelques mois seulement pour sortir ce film.