« We call him... Gojira. » DR. ISHIRO SERIZAWA

Plus d'une décennie après le Godzilla de Roland Emmerich, les studios Legendary Pictures et Warner Bros. achètent les droits de Gojira à la Tōhō. Le producteur Brian Rogers annonce un nouveau remake où un le monstre japonais en image de synthèse affrontera un ou plusieurs nouveaux monstres, dont la première version du scénario serait écrit par Dave Callaham.

Avec son bon Monsters, en 2010, Gareth Edwards aura visiblement prouvé aux dirigeants de la Warner qu’il était non seulement le candidat idéal pour faire renaître Godzilla, mais qu’il possédait également le savoir-faire et la sensibilité nécessaire pour orchestrer un spectacle qui, à l’image de la bête légendaire, ne passerait certainement pas inaperçu. Les thèmes et les préoccupations tout comme quelques-unes des images les plus marquantes de son premier film se seront ainsi frayés un chemin jusqu’au coeur de cette méga production dont l’impressionnante distribution était déjà suffisante pour nous mettre la puce à l’oreille.

Début 2011, David S. Goyer est annoncé comme nouveau scénariste du film, mais un emploi du temps trop chargé l'empêche de finir et le scénario est remis à Max Borenstein qui doit alors en écrire une version finale basée sur celle de son prédécesseur. Pour finir, c’est le scénariste et réalisateur Frank Darabont qui va retravailler le script sans qu’il ne soit au générique.

En 2011, la catastrophe nucléaire de Fukushima freine considérablement le projet, alors que le film est encore au stade de pré-production. Pour l’équipe, il a fallu choisir : renoncent-t-ils à faire un film sur la radioactivité et le Japon, ou assument-t-ils ce sujet ? Pour Gareth Edwards et ses scénaristes, ils est évident de garder le sujet pour refléter les problèmes de notre temps.

Godzilla sort en mai 2014, ce qui coïncide avec le 60ème anniversaire de la sortie du Gojira de Ishirō Honda.

Le film de Gareth Edwards renoue avec la tradition du combat épique entre diverses créatures géantes. Godzilla n’y joue pas le rôle de destructeur surpuissant. Au contraire, symbole de la force de la nature, il en est le défenseur, sorte de redresseur de torts. Cette relecture (déjà présente dans des versions antérieures) a de quoi surprendre, car elle prend le contre-pied des récentes réalisations de films de monstres récentes.

Pour sa créature, Gareth Edwards s'inspire avec intelligence de Jaws, décidant de retarder au maximum le dévoilement de ses titans. Et une fois les créatures en action, le metteur en scène s'échine à quasiment toujours conserver un point de vue ainsi qu'une échelle humaine sur les situations apocalyptiques qu'il décrit. Le résultat littéralement tétanisant, nous permet de retrouver toute la puissance viscérale et symbolique de l'œuvre originale, tout en conférant à Godzilla une aura magnétique, qui irradie chaque scène, quand bien même le monstre en est absent. D’ailleurs le nom de famille de nos héros : Brody est une référence évidente au personnage de Roy Scheider dans Jaws.

Quand la créature apparaît enfin, on voit qu’elle s’inspire de tous les looks précédents des différents Godzilla pour créer celui du film. Son design est basé, selon le réalisateur, sur le physique d'un ours et celui d'un dragon du Komodo. Sa tête est en particulier inspirée de celle de l'ours, du chien et de l'aigle. Ce relooking n'a visiblement pas que des partisans, puisque des fans japonais se sont plaints, ils le trouvent... Trop gros. Certains sont même allés jusqu'à renommer la créature Godzilla Deluxe.

Ils ne sont jamais content, je rappel qu’ils ont surnommés le Godzilla de Roland Emmerich : Zilla et qu’ils se sont moqués de sa créature dans l’un de leur film.

Tout comme dans Monsters, Gareth Edwards accorde une fois de plus énormément d’importance aux rapports humains. Si Bryan Cranston et Juliette Binoche sont là pour introduire les enjeux, c’est bien Aaron Taylor-Johnson et Elizabeth Olsen qui nous allons suivre. Le parcours parsemé d’embuches du jeune lieutenant fera écho aux difficultés de concilier carrière militaire et vie de famille au coeur d’une Amérique de plus en plus prisonnière des flammes qu’elle attise. Ce qui retient plus particulièrement l’attention, c’est l’absence d’un réel antagoniste. Les multiples erreurs commises tout au long de l'intrigue seront toutes le résultat de décisions prises avec les meilleures intentions par des individus totalement désemparés, mais devant impérativement réagir à la crise insensée à laquelle ils doivent faire face. C’est ce genre de petites nuances qui élèvent le film de Edwards au-dessus d’une moyenne s’affaissant d’année en année.

Gareth Edwards présente continuellement ses respects au matériel d’origine, et ce, d’une manière aussi astucieuse qu’inspirée. Les références au cinéma d’après-guerre japonais s’avèrent d’ailleurs vite abondantes, débutant avec l’introduction du personnage interprété par Ken Watanabe, alors vêtu du chapeau et des lunettes emblématiques de Akira Kurosawa. D’ailleurs le personnage de Watanabe fait évidement référence au Dr. Serizawa du film original de 1954 tenu par l'acteur Akihiko Hirata.

Il n’est pas très étonnant non plus de voir un certain bilan de plus d’une décennie de tragédies humaines et de catastrophes naturelles, présentant tout au long du récit des images puissantes, évoquant inévitablement le 11 septembre 2001, mais également la plus récente crise nucléaire japonaise ainsi que les nombreux tsunamis ayant ravagé les côtes asiatiques. Ainsi, à l’instar du film de Ishirō Honda, celui de Edwards traite à son tour des grands traumatismes de son temps, prenant comme angle d’approche le secret d’état et le mensonge politique pour intégrer sa trame fantastique à un univers paraissant autrement tout ce qu’il y a de plus concret.

Le Godzilla de Gareth Edwards s’inscrit certainement dans cette tendance offrant un traitement plus réaliste et rigoureux à une multitude d’histoires qu’elle avait toujours prises à la légère. Le jeune cinéaste réussit à faire d’une pierre deux coups ici en orchestrant un spectacle fin et lucide, mais en ne boudant jamais son plaisir ni celui des fans de la première heure. Oeuvre cataclysmique pénétrante et d’une grande virtuosité, Godzilla étonne et détonne, guidé par un flair visuel des plus revigorants, venant lui-même cimenter un ensemble de concepts fascinants, et surtout brillamment exprimés.

StevenBen
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le 11 avr. 2024

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Steven Benard

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