L’Autriche n’est pas une terre fondamentalement reconnue pour la singularité de son cinéma. Quelques réalisateurs notables ici et là mais c’est un pays relativement discret, dont le fait le plus marquant de ces dernières années est d’avoir été le théâtre d’un sordide fait divers. Rappelez-vous l’enlèvement et la séquestration durant huit ans de Natascha Kampusch. Fait marquant encore bien ancré dans les mentalités locales (voire internationales), Goodnight Mommy en tire toute sa force et nous dessine le sombre reflet d’un pays qui n’a jamais su s’en relever. De film contemplatif quasi-malickien, l’intrigue prend un nouveau virage en se muant en drame psychologique avant d’aboutir à un torture movie (et non pas porn) implacable. A la tête de leur premier long-métrage après avoir réalisé quelques courts et un documentaire, Veronika Franz et son acolyte Severyn Fiala ont eu le soutien de producteur d’Ulrich Seidl (Dogs Days, Import/Export, trilogie Paradis). Si Veronika Franz a pu compter sur le célèbre cinéaste autrichien, c’est par ce qu’ils sont avant tout très proche. En effet, elle est la scénariste de la quasi-totalité des films de Seidl. De fait, on y retrouve donc cette même identité visuelle, plus généralement singulière du cinéma autrichien. On pensera également au cinéma de Michael Haneke. Mais pour faire un bon film, il ne suffit pas de reproduire le travail des maîtres, il faut y apporter sa patte. Et c’est encore plus difficile avec un film de genre. Ça tombe bien, Goodnight Mommy est un véritable uppercut horrifique. Un tourbillon infernal dans lequel la violence s’immisce lentement jusqu’à pousser ses protagonistes dans leurs derniers retranchements.


Goodnight Mommy, c’est trois acteurs, un huis-clos et des bandages. La recette pour obtenir un film autrichien horrifique et contemplatif mémorable. Dans une première séquence, une famille bavaroise toute droite sortie d’une publicité pour chocolats nous chante un air de boîte à musique. Cette toute première image casse déjà l’image de la famille modèle, ambiance faussement chaleureuse et filmée avec une pellicule abîmée qui lui donne un grain sale. La suite s’ouvre sur une villa d’architecte en rase campagne à la croisée d’un champ de maïs et d’une forêt sombre et épaisse, c’est là qu’on découvre ces deux jumeaux s’amusant des derniers jours de l’été. Pendant une partie du film, il n’y a qu’eux. Le film s’attarde sur la complicité des jumeaux, sur leur débrouillardise et leur hyperactivité. Ce sont surtout deux frangins qui ne se quittent jamais. Alors dès qu’une femme se disant être leur mère rentre à la maison, le visage recouvert de bandages, l’équilibre est troublée. Et si elle n’était pas leur mère ? D’un côté, il y a cette femme qui tente une première approche amicale avec les jumeaux alors que de l’autre côté, exténuée par leur refus de croire à son identité, elle se voit contrainte d’avoir recourt à une certaine maltraitance à l’égard de ces (ses ?) enfants. Toute l’intrigue tient en haleine par le fait que les interrogations du spectateur sont constamment remises en question. Est-ce-bien leur mère ? Pourquoi n’est-elle pas la bienvenue dans la maison ? Pourquoi personne d’autres ne semblent vivre dans le voisinage ? Pourquoi cette femme tient tant à séparer la fratrie ? Même si certaines zones d’ombres ne seront jamais éclairées, il faut reconnaître que l’écriture est assez fine, suffisamment juste dans la représentation de ces jumeaux soudés et qu’elle trouve un formidable parallèle avec sa mise en scène.


En effet, les deux réalisateurs évoquent Goodnight Mommy comme un film en miroir. Ce miroir, c’est celui où cette femme se regarde sans cesse avec le souvenir d’une vie passée. C’est également cette symbolique du double et donc des jumeaux qui sont pareils et différents à la fois. Dans une scène où les deux enfants sont face à face, se regardent et se coupent les cheveux, cela se situe pile au milieu du film, à la seconde près. Dans la première partie, de l’œil de la mère dans le miroir grossissant répond, dans la dernière partie, le plan de la loupe. Les réalisateurs se sont amusés à créer un parallèle scénaristique qui se retrouve jusque dans l’image. C’est brillant. La direction artistique est également à noter puisqu’elle fait contraster le naturel des extérieurs, ses jolies imperfections et ses fulgurances de beauté, avec le cadre d’une maison luxueuse et architecturale, trop lisse pour être vraie où les cafards s’y invitent occasionnellement. A l’instar de ce qui est arrivé à Natascha Kampusch, ce qui inspire le plus la peur, c’est le cadre anodin d’une maison familiale. Personne ne les entendra crier. Le film bascule ainsi dans l’horreur la plus effroyable et distille dans sa dernière partie des scènes de torture comme on en a rarement vu au cinéma. Comme si Funny Games rencontrait Hostel. A ce sens, la direction d’acteur est remarquable. Les jumeaux s’impliquent véritablement et semblent s’amuser devant la caméra, témoignant d’une sincérité notable et d’une performance touchante.


Même si on lui reprochera un rythme peut-être poussif, des maladresses et quelques incohérences, Goodnight Mommy est tout simplement brillant. Une pépite de genre toute droit venue d’Autriche, récompensée à Sitges et à deux reprises à Gérardmer. Derrière son apparence onirique et de conte de fées, les deux réalisateurs s’amusent à jouer avec les attentes des spectateurs. Une forme de mystère intrinsèque et de poésie macabre qui donnent toute son identité à ce drame familiale. Car avant d’être horreur, Goodnight Mommy est le portrait d’une famille détruite qui a perdu toute notion avec la réalité. Les réalisateurs vont jusqu’à faire venir le plus abominable de là où on ne l’attend pas venir. Si la toute-fin tombe dans l’explication outrancière de son retournement de situation, dès le générique finale, on n’a envie que d’une chose, le revoir ! Le film sera surement distribué dans une combinaison (très) limitée de salles nationales. Mais si les exploitants proches de chez vous osent le programmer, il serait dommage de passer à côté de ce que l’on verra de plus marquant en film d’épouvante au cinéma, à l’instar de It Follows en début d’année.


Critique à retrouver sur CSM (c'est cool, il y a des images)

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le 3 mars 2015

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Kévin List

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