Rêve fiévreux

Goutte d'Or est un film volontairement confus. Tel un bateau voguant dans le brouillard, le deuxième long-métrage de fiction de Clément Cogitore se fait de plus en plus brouillé à mesure que l'on s'enfonce dans son univers. Un univers proche de nous, certes, mais pourtant si lointain. Proche, car il prend place au beau milieu de notre capitale, dans le réel d'un quartier du 18e arrondissement ; lointain, car il s'intéresse au monde occulte des médiums, ces charlatans qui promettent aux désespérés une fenêtre sur l'au-delà. Portant un regard très terre-à-terre sur le sujet, conscient de l'évidente imposture de ces prestidigitateurs, le film va néanmoins prendre une pente subtile vers le surnaturel.

Sauf que, si vous avez vu Ni le ciel ni la terre, son premier long-métrage de fiction, vous savez que chez Cogitore, le surnaturel ne surgit jamais vraiment. Il se contente de flotter, là, quelque part en dehors de l'écran, laissant même planer le doute sur sa propre existence. Car on ne sait pas vraiment si ce qu'il se passe dans ce film est surnaturel. À vrai dire, plus le film avance, plus on n'y comprend rien, à l'instar des personnages eux-mêmes. Et c'est justement cette incompréhension-là qui constitue le terreau de toutes les croyances les plus irrationnelles. Le surnaturel, ce n'est rien d'autre que l'une des hypothèses pour expliquer ce qui échappe à notre entendement. C'est ça que j'apprécie dans le cinéma de Cogitore, cette esthétique de l'incertitude, du non-dit, ce fantastique subtil qui attend au coin de la rue et qui crée une atmosphère enfumée assez unique. Regardez donc Goutte d'Or et, si ce n'est pas déjà fait, regardez Ni le ciel ni la terre, dont l'atmosphère m'a personnellement encore davantage captivée.