La loi du silence ou l'affaire des prêtres pédophiles

En juillet 2004, Patrick Le Lay, alors patron de la chaîne TF1 déclare "Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible".


Taulé médiatique, les annonceurs font la gueule, la direction aussi, les actionnaires se demandent s'il va y avoir des retombés sur le chiffre d'affaire du groupe, Martin Bouyges reprend des côtelettes aux truffes et tout rentre dans l'ordre.


Monsieur Le Lay est remercié en 2007, la direction a l'esprit calme, la conscience tranquille et le ventre plein.


Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.


Tout est à sa légitime et nécessaire place : les consommateurs consomment, les publicitaires publicisent, TF1 fait des cartons d'audiences.


Où vais-je avec cette introduction ? Partout et nulle part.


En 2016, le cardinal du diocèse de Lyon Barbarin déclare à propos du scandale de pédophilie qui touche l’Église - et dont la responsabilité dudit Barbarin est importante- que : « La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits ».


Taulé médiatique, les catholiques font la gueule, l’Église de France aussi, les prêtres se demandent s'ils vont pouvoir continuer à attoucher ou violer des scouts en tout impunité, le père Preynat souhaite être pardonné. Tout ne rentre pas dans l'ordre, à moins que ?


Mars 2019, Barbarin est jugé et donne sa démission au pape. C'est pas trop tôt.


Où vais-je avec cette désormais longue introduction ? Partout et nulle part.


Ces deux exemples nous prouvent comment des déclarations publiques peuvent signer l'arrêt de mort médiatique - mais pas que - des locuteurs. Dans ces deux cas, des gens sont tombés mais le système s'est maintenu, fièrement, face à la calomnie.


Sauf que, dans l'un c'est une société privée et ce qu'ils font est légal, dans l'autre, c'est une institution qui, historiquement, entretient des rapport ambigu avec l’État et ce qu'ils font est répréhensible.


Les gens semblent frileux quand il faut s'attaquer à l’Église.


Où vais-je ? Je vais dans les terres de l'indignation sélective, où on demande à un prêtre pédophile de se faire "pardonner" par ses victimes.


Je vais dans les terres de la mafia religieuse où l'omerta régnait jusqu'à il ya peu. A moins que ?


En France, l'Eglise catholique c'est 40 millions de personne selon les sondages.


Dois-je considérer tous les croyants comme complice ? Non.


Dois-je considérer que ces affaires les regardent tous ? Non, mais je vais le faire.


Un chrétien de France qui voit l'espace médiatique accaparé par des titres chocs "pédophilie dans l'église", "le prêtre abusait des scouts" ou encore "le silence de l’Église devant les accusations de pédophilie" peut-il se sentir indifférent ?


Peut-on reprocher à des gens qui proclament haut et fort que deux femmes qui s'embrasse symbolise le Mal, de couvrir des affaires de pédophilie ?


Peut-on reprocher à des gens qui bourrent le crâne de leurs enfants, les confient à des prêtres qui violent leur libre arbitre et leur âme, d'étouffer des affaires de pédophilie ?


Peut-on reprocher à des gens qui croient en l'institution qu'est l’Église, depuis leur enfance, allant jusqu'à prier pour le père Preynat, de couvrir des affaires de pédophilie ?


Si vous trouvez mon discours caricatural, sachez que, ce n'est pas moi qui ai commencé.


Oui, oui, c'est bien, mes tendances digressives ne s'améliorent pas.


La condamnation du silence de ceux qui savaient, de ceux qui savent. La condamnation des prêtres pédophile.


Voilà, ni plus ni moins, que souhaite les victimes.


Ce n'est pas si simple et le dernier film de François Ozon met formidablement en évidence la divergence des points de vue des victimes.


Que de pièges évités, que de facilités contournées, que d'écritures malines nourrissant Grâce à Dieu.

Tout d'abord, remarquons le refus de dresser des portraits unilatéraux, par la présence de profils différents : le catholique pratiquant avec sa famille, l'athée etc... Servi par un excellent casting qui... excelle également, ces portraits ne semblent en aucun cas clichés ni manichéens.


La construction du film qui est, durant sa première demi-heure un problème puisque la réalisation se veut redondante et assez chiante : la voix off qui lit les lettres, les échanges interminables avec le diocèse... tout cela est justifié et il m'a plu de m'en rendre compte, bénéfique au récit.


On commence donc avec l'ultra-catho, bonne idée puisque le film nous place dans une optique non pas de vengeance face à l’Église mais de reconnaissance des faits par l’Église concernant le père Preynat.


Cette première partie étaient nécessaire pour faire comprendre un cheminement et la difficulté pour une victime de prendre la parole, pour une Église de France de prendre les choses en main, pour prendre ne serait-ce qu'un simple rendez-vous.


Au fur et à mesure, les témoignages, les esprits se délient. L'effet boule de neige permet un engouement et même si la réalisation se veut un peu redondante et parfois sommaire, on est happé par le récit et le développement intelligent des protagonistes qui se passent le relai de la narration.
Oui, c'est également une des bonnes idées, que la caméra suive les victimes les uns après les autres puisque cela rend leur réunion d'autant plus gratifiante et plaisante, donnant l'impression d'une réussite, d'un achèvement alors que tout reste à faire.


Et puis, cela permet de développer les histoires personnelles de chacun d'entre eux. Et de rendre les retours en arrière dans la narration, notamment la scène dans le labo photo, poignants et subtil puisque n'en dévoilant que peu, très peu, juste ce qu'il faut.


Je vais vous faire un aveu, aussi sûr que le film traite admirablement ses personnages, les scènes qui m'ont le plus marquées sont celles où l'on voit les bourreaux, les hommes d'église.
Parce que, après tout ce cheminement, ce retour sur eux même et leur passé, où l'on peut constater comment ces faits les ont détruits, voir un pédophile tenir la main d'une de ses victimes et réciter le notre père avec lui est une épreuve particulière.


Particulière parce que, à chaque fois que les hommes d'église ou ceux qui les couvrent s'expriment, cela me marque. Cette scène où est fait, par maladresse évidemment, un parallèle entre homosexualité et pédophilie, a fait rire la salle. Le rire du malaise. Rire fréquent concernant ce film.
La fin du film est également un accomplissement en demi-teinte puisqu'en bouclant la boucle, il laisse des portes ouvertes, beaucoup, et ne tire pas de leçon de morale concernant les personnages et leur parcours.


Je ne sais pas si je dois conseiller ce film, ni à qui je dois le conseiller.


Je parlerai concernant ces affaires, d'enflures singulières qui, malheureusement, se répandent également hors des rangs de l’Église.


J'églisé et chuis tombé/10

Créée

le 16 mars 2019

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Jekutoo

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