Grand retour dans les salles obscures après plus de deux mois d'abstinence. Il faut dire qu'un déménagement, ça bouffe du temps et de l'énergie. Non, non, je ne cherche pas d'excuses. Bon venons en au fait, grand retour pour François Ozon également. Autant son amant double m'avait vraiment laissé perplexe, autant ce grâce à Dieu m'a convaincu. Malgré un sujet très intime et hautement scabreux, sans aucun doute difficile à traiter pour un cinéaste. Sujet d'autant plus difficile qu'il est très exposé médiatiquement, cela pouvant inciter un réalisateur à tomber dans l'un et l'autre des pièges que seraient les excès de pathos ou de banalités.


Chausses-trappes évités et la construction du film n'y est pas étrangère. Construction en mode triptyque, un peu sur le schéma de huit femmes, avec ici trois hommes sur lesquels l'accent va être successivement mis au cours des quelques deux heures quinze que dure le film : d'abord un catho tradi très lyonnais, puis un bobo athée et enfin un prolo en souffrance. Tout en conservant à l'intrigue son caractère d'ordre globalement chronologique. Chapeau, sacrée maitrise. Ca donne du rythme, ça maintient la tension et l'attention du spectateur, qui - me concernant - ne s'est pas ennuyé un seul instant. D'autant que les trois acteurs masculins sont très bon. Et, comme en miroir ou en contrepoint de cet enchainement de portraits masculins, vient la solidarité et la force collective de ce trio, qu'a priori pourtant, tout aurait tendance à opposer. Une construction de haute qualité, trop rare aujourd'hui dans le cinéma français.


Parlons quand même un peu du père Preynat , dépeint dans le film comme une véritable caricature de curé qui aime à tripoter les petits garçons. Avec ses intemporelles lunettes à verres fumés tirant sur le rouge et impayable dans son uniforme de boy-scout adulte. Ca, c'est pour le look. Pour le reste, il fait preuve, mais oui, d'une incroyable candeur, reconnaissant sans barguigner tous les faits et les souffrances qu'il a infligées. Incroyable mélange de perversité et d'attitude christique. Comme si finalement tout ça était un peu normal...


Normal ? Mais c'est aussi là que réside la force du film. Sachant que lui et ses semblables (attention, je ne veux pas parler de tous les prêtres, mais seulement de ceux qui ont des pratiques pédo-sexuelles, selon le terme consacré par Barbarin himself) sont couverts depuis des décennies par leur hiérarchie ecclésiastique et que leurs pratiques remontent à des siècles et des siècles sans que personne ne moufte mot, il n'y avait sans doute pas de raisons, pour que Preynat, à la sortie du séminaire, fasse différemment. Et le film s'attache avec beaucoup de soin et de finesse à montrer comment cette loi du silence est orchestrée et supervisée aux plus hauts niveaux de l'église catholique.


Et c'est finalement plus à l'institution qu'au pauvre type qu'est Preynat que le film s'attaque. En cela il est intelligent (le film, pas Preynat), avec en point d'orgue le lapsus (qui lui a donné son titre) d'un Barbarin aux abois, devant la presse. Et on sait, puisque c'est inspiré de faits réels, que l'église a esté en justice pour tenter de faire interdire le film et que Barbarin vient d'être condamné à six mois de prison avec sursis et qu'il pourrait démissionner de ses fonctions. Preynat attend toujours son procès, il serait assez surprenant qu'il ne prenne pas cher...


Je terminerai sur cette réflexion, sans doute sybilline pour certains, d'un fan assidu de sœur Fidelma : si au 7ieme siècle, le catholicisme gaëlique l'avait emporté sur le catholicisme romain, on en serait sans doute pas là !

Marcus31
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le 9 mars 2019

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