Docteur Eastwood et Mystère Clint

il y a eu un mystère Eastwood. Jusqu'à Gran Torino.

...plusieurs fois au cours de sa carrière, l'idée qu'on se faisait de Clint a basculé - comme une pièce de monnaie qui pivote sur sa tranche avant de tomber, et ne pourra pas tomber entre deux: ce sera pile, ou face.

Le premier Eastwood qui nous a marqués - en tout cas, le premier qu'on ait remarqué, l'Eastwood façonné par Leone ( parce que, sorry, on a raté Rawhide ), était drôle, tellement stylisé, mutique et irréaliste qu'il ne donnait pratiquement aucune info sur l'homme. Juste une silhouette.

Le second Eastwood à avoir vraiment imprimé, en gros, c'est Dirty Harry, le flic dur à cuire et réac, prêt à tout, se foutant de la loi et canardant les délinquants sans sommation. Pendant presque 20 ans, Eastwood semblait tellement à l'aise dans son rôle de brute épaisse ( enfin, maigre en fait ) qu'on en vint à tracer un signe égal entre l'homme et le personnage ( et son engagement politique semblait le justifier ).

...et on fut très surpris de découvrir ensuite un Eastwood plus complexe, capable de faire des films "intelligents", avec des sentiments, de la profondeur psychologique... Un amateur de jazz ( gage de bon goût et de finesse, se dit on ), qui s'attaque à des sujets pas évidents, "Sur la route de Madison" avec Meryl Streep, "Minuit dans le jardin du bien et du mal", et des comédies comiques ou il semble se moquer de son propre personnage de vieux crabe dur à cuire. On se dit : humour et autodérision d'un côté, films intellos d'un autre, voilà quelqu'un de plus fin, cultivé et nuancé qu'on ne le croyait. On eut même honte de l'avoir confondu avec son rôle de Dirty Harry. Puisqu'il n'est pas un gros ( pardon, un maigre ) facho, c'est qu'il est forcément le contraire.

Pourtant, au fur et à mesure des films, le doute revint : Finalement, qu'est ce que "Minuit dans le jardin du bien et du mal" raconte ? ( je n'en sais toujours rien, au fond ) Et "Madison", quand on le revoit...l'homme entretient l'ambiguïté, chose qu'on n'est pas accoutumé à associer à un facho. Un facho, dans notre esprit, ça doit être simple, brutal, tranché, non ?

Même quand il filme la guerre, on ne sait plus s'il nous la joue patriote à fond ou esprit critique pacifiste, il montre les deux faces...

...on se demandait de plus en plus si on s'était pas trompé à nouveau, si on n'avait pas pris l'habit pour le moine. Traiter des sujets complexes en jouant du jazz avec Woody Allen, ça ne prouve rien...

alors, Gran Torino ?

c'est clairement le film qui fait tomber la pièce d'un côté.

Du mauvais côté, pour moi.

Caché derrière un prétendu antiracisme ( "voyez, je ne suis pas raciste puisque mon personnage adopte deux petits asiatiques, quel effort de tolérance", soit l'équivalent chez nous de " je ne suis pas raciste j'ai même des amis arabes" ), il porte sur la jeunesse un regard abominable, caricatural, grimaçant, utilisant la jeune coréenne bien sous tous rapports, jeune fille modèle bien sage façon années 50, pour montrer par comparaison que les jeunes américains sont pourris-irrécupérables ( les deux scènes d'enterrement sont odieuses, insupportables de bêtise ).

Il utilise le frère et la soeur coréens pour dénigrer ses propres petits enfants par comparaison, suivant un schéma révélateur : le petit gars turbulent qu'on ramène dans le droit chemin à coups de pied dans le cul et en lui donnant un travail manuel ( normal, c'est un gars ) et qu'on adopte comme un petit fils de substitution, et la jeune fille parfaite ( pas besoin de coups de pieds dans le cul, on vous dit qu'elle est parfaite, donc bien sage ) qui a le bon goût de tourner - chastement - autour du vieux qui la reluque avec des yeux exorbités, ça sent l'attirance amoureuse à chaque instant mais il ne se passera heureusement rien, ça reste platonique et inavoué, on n'est pas des bêtes, on va déguiser ça en relation filiale ( ou plutôt petite-filiale ).

Si on vous dit qu'elle est très belle, ça vous étonne ? Ben quoi, monsieur ne va pas perdre son temps avec une fille moche !

Le coup de l'adoption virtuelle aurait été plus intéressant, justement,si elle avait été laide. Ou si elle et son frère avaient été des enfants ( ben oui, un papy c'est sensé aimer les enfants, non ? pourquoi pas ? Sauf que lui, je ne crois pas - en tout cas je ne lui confierais pas les miens ). Mais non, il fallait la tension amoureuse.

...et du coup l'embrouille relation amoureuse platonique / rapports filiaux, puante.

Le vrai drame, à part les ingrédients scénaristiques faisandés, c'est qu'il n'y a personne dans ce film : le vieux fossile promène lentement son rictus de momie au milieu de silhouettes de carton avec chacune son étiquette ( jeune fille pure, jeune pétasse, ptit gars réglo, fils nul, gang de voyous ...) et chaque acteur joue juste consciencieusement ce qu'il a lu sur l'étiquette. Un film sans vraies personnes, un film désert.

Pas grave direz-vous, dans une comédie nul besoin de profondeur et de réalisme, les clichés facilitent l'humour...ça se discute...mais là, anyway, ce n'est jamais drôle !

Son personnage ( considéré comme le héros ) déteste ses enfants et ses petits-enfants, et ne rate pas une occasion de le leur montrer ( quelle horreur d'avoir un père ou un grand père pareil ! ), ce qui donne quelques scènes qui auraient pu être marrantes, mais non.

Tout est si cliché et outré qu'il ne peut s'agir que d'une comédie comique ( où on ne rit pas une seule fois ). Sauf qu'il introduit un élément central :

( attention spoil !)

...un viol en réunion dégueulasse, qu'il utilise comme une simple pièce du scénario. La victime s'en remet très vite et reprend courageusement son rôle de jeune fille modèle, inchangée comme si un truc pareil guérissait en quelques jours et qu'on n'en restait pas traumatisé(e) à vie.

Mais non, tout va bien puisque Papy Clint a mis les méchants hors d'état de nuire : éliminer les violeurs, ça répare pas le viol ? Soyons simple. C'est du cinoche.

On devine qu'Eastwood se trouve très progressiste puisqu'il ne flingue pas les méchants comme l'aurait fait Harry, mais le twist est gros comme une maison, on le voit venir de très loin, dès qu'il consulte son médecin, et totalement irréaliste - mais puisque c'est une grosse comédie comique, tout va bien ! - sauf que le viol n'a pas sa place là-dedans. On sent affreusement qu'il est rangé par l'auteur sur la même étagère que les mauvaises blagues et les ficelles de scénario lourdingues, et c'est insupportable.

Et pourquoi ça s'appelle Gran Torino ?

A cause d'une bagnole de collec dont on n'a rien à cirer, mais qu'Eastwood semble trouver super importante, enjeu central, objet de convoitise de sa petite fille très bitchy ( ça on n'y croit pas un instant , qu'elle convoite la ptit'auto rouge, c'est vraiment une idée de vieux au cerveau tout craquelé : ma petite fille dévergondée me fait des sourires pour me piquer ma belle voiture )

...et qu'il lèguera, NA ! à la jeune coréenne ? Non, à son frère, voyons, on ne va pas donner une belle bagnole à une gonzesse ! On peut être progressif, mais il y a des limites.

Pour moi, depuis ce film, le cas Clint est tranché : C'est un point final.

moranc
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le 17 juil. 2023

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