Pas assez second degré pour en rire et trop invraisemblable pour instaurer la tension, Greta déçoit.

Neil Jordan est ou a été un grand réalisateur (« Entretien avec un vampire », « Prémonitions », …) qui n’avait pas tourné depuis un bail. Isabelle Huppert est l’une de nos plus grandes actrices françaises et peut-être la plus courageuse dans ses choix de rôles. Ce duo excitant pour un thriller américain à tendance hitchcockienne donnait l’eau à la bouche. Mais la douche est d’autant plus froide et on se désole que le premier grand rôle américain de cette actrice suite au succès international du magistral « Elle » soit de cet acabit. Elle y joue une femme dérangée que la solitude rend complètement psychopathe et qui va s’enticher d’une jeune fille naïve d’une manière pas très catholique. Un jeu de manipulation pervers à base de harcèlement, on en a déjà vu beaucoup, que ce soit entre un homme et une femme (« Liaison fatale »), entre voisins (« Harcelés ») ou entre femmes (« JF partagerait appartement »). Ici entre une soixantenaire et une adolescente c’est moins courant mais le film reste trop sage. Les ressorts sont les mêmes que dans la plupart de ce type de long-métrages et l’impression de déjà-vu surnage, surtout que « Greta » semble bloqué dans les années 90 dans son esthétique et son déroulement, comme si tous ces films n’avaient jamais existé.


Heureusement, le cinéaste anglais a du métier, son film est rythmé et si on ne fait pas le difficile, il se regarde sans déplaisir. Mais on en attendait bien plus d’un tel cocktail de talents à la barre. Et les trop nombreuses invraisemblances rendent l’intrigue abracadabrantesque. Rien que le postulat de départ avec le sac à main semble tiré par les cheveux. Quant au fait que le personnage de Chloë Moretz retourne plusieurs fois dans la gueule du loup ou qu’elle ne parvienne pas à s’échapper à certains moments n’a pas de sens. Partant de là et à force d’accumulation, difficile de croire à ce suspense qui n’en devient plus un. Et quand la dernière partie tourne au film de séquestration ça vire au grotesque. Mais un grotesque dont l’humour noir ou le second degré n’est pas assez poussé ou volontaire pour qu’on puisse s’en délecter.


Pourtant, en dépit de ce scénario cousu à gros points et qui a déjà été vu maintes fois en mieux, il y a plusieurs scènes vraiment réussies. La mise en scène est élégante et lors de la poursuite via téléphone interposé, il y a un peu de tension et c’est bien vu. Quant à une séquence de double rêve dont on vous laisse la surprise, c’est très réussi également. Deux séquences qui montrent que Neil Jordan en a encore sous le capot. L’interprétation du trio principal est quant à elle à double tranchant. Chloë Moretz est un peu transparente, on la préfère dans les films d’auteur quand celle qui joue sa colocataire, Maika Monroe découverte dans « It follows », parvient à se démarquer d’un second rôle à priori de faire-valoir. Enfin, Isabelle Huppert a déjà été meilleure dans ce type de rôles de folles mais elle semble s’amuser par moments et nous avec. « Greta » n’est donc pas mauvais, juste décevant, un peu frustrant et banal. Il a surtout le tort de ne pas aller à fond et bien, soit dans le thriller parano soit dans l’humour noir et la parodie.


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JorikVesperhaven
5

Créée

le 3 mars 2019

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8 j'aime

Rémy Fiers

Écrit par

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8

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