La pandémie aura deux temps : celle des ravages, où la stupéfaction a généré une improvisation globale, et celle, qui commence à advenir alors que nous ne sommes pas encore tirés d’affaire, des ramages : ce moment où l’art et la fiction s’empare du sujet pour le dire, et, d’une certaine façon, le conjurer en une période révolue.


Dans Guermantes, Christophe Honoré propose un entre-deux : œuvre construite dans l’urgence de la première période, son film transforme un projet annulé de mise en scène théâtrale en un film sur la troupe condamnée à ne pouvoir jouer devant un public. La liberté si chère à bien de ses œuvres prend ici une place presque vertigineuse : entre l’improvisation et l’exercice de style, le documentaire et la métafiction, Guermantes échappe aux formats conventionnels pour briser le carcan d’une obligation de se taire.


La spontanéité irrigue donc un récit paradoxal, puisqu’il trouve son origine dans celle d’un spectacle mort-né. De ce projet sur Proust, nous retrouverons quelques bribes, fragments de répétitions et morceaux de décors, mais sous la gangue de cette absence de destination vers un public. La proposition d’Honoré faite à ses acteurs de répéter malgré tout se double d’un autre projet, celui de donner à voir cette « beauté du geste » par un film qui en explorera les coulisses, les querelles, les doutes, et toute cette vie bigarrée d’une troupe de théâtre.


Toute l’exploration propre à la scène est assez passionnante : le lien du metteur en scène à ses comédiens, son dirigisme, et la façon dont la troupe, en comité, a aussi un pouvoir de décision sur la destinée du spectacle, ou lors des scènes de répétition pour lesquelles la diction ou les déplacements sont disséqués avec obsession.


Ce temps suspendu est donc propice à une autre forme de création : celle d’une forme de résistance, qui maintiendrait la performance quand bien même elle ne trouverait pas de destinataire. C’est aussi une façon d’interroger l’ego blessé de comédiens habitués à s’agiter sous les feux de la rampe, et dont Honoré va scruter les caractères (sans s’épargner au passage), tour à tour expansifs, usés et inquiets, en concurrence ou dans un élan collectif. Le portrait, par exemple, fait de Laurent Laffite, montrant la bande annonce de son film aux autres sociétaires et ayant des contacts dans les Palaces parisien est assez savoureux d’autodérision.


L’immersion fonctionne la plupart du temps, mais tend à s’essouffler sur un film trop long (2h20), et qui s’embourbe un peu dans sa dernière partie où les scènes collectives (le repas, l’ivresse, le squat dans le théâtre et la sortie au Ritz) se font dans une liesse un peu surjouée. Le film se termine au moment où la complaisance commence à prendre le pas sur l’inquiétude, sans qu’on sache si le recul sur ces énergumènes un peu hors-sol est encore en vigueur. Il était temps.


(6.5/10)

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le 12 oct. 2021

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Sergent_Pepper

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