Gummo
7.3
Gummo

Film de Harmony Korine (1997)

Quand je suis allé aux États-Unis il y a maintenant une paire d’années, j’avais adoré mon séjour à New-York. Pour moi, cette ville était le symbole qui prouvait que la civilisation américaine était un modèle de pureté, de réussite et de beauté. Mais au fil du temps, j’ai appris à mes dépends que c’était loin d’être le cas, constatant avec horreur et fascination que le côté submergé de l’iceberg cachait un monde bien moins prestigieux que ce que j’avais vu à la Grosse Pomme.

Le cinéma s’est attelé à de nombreuses reprises à montrer le mode de vie rural de l’Amérique profonde, parfois pour faire rire, pour faire peur ou avec une certaine portée documentaire. Et certaines œuvres parviennent à combiner les trois aspects en même temps !


Gummo est un film américain sorti en 1997 et réalisé par Harmony Korine. L’histoire prend place à Xenia dans l’Ohio, quelques années après le passage d’une tornade qui a tué de nombreuses personnes et détruit des bâtiments. Dans cette petite ville au milieu de nulle part, les gens semblent ne s’être jamais remis de cette catastrophe, les habitants sont des marginaux qui tentent de vivre du mieux qu’ils peuvent quelques soient les moyens. En 1h29 de film, le portrait de plusieurs personnages nous est présenté, mais on suit majoritairement Solomon et Tummler, deux adolescents qui se font de l’argent de poche en tuant des chats errants.


Je n’ai pas attribuer de genre au film car il est difficile de lui en donner un précis. C’est une fiction, mais il a de nombreux points communs avec un documentaire. La manière avec laquelle les personnages sont présentés, les plans de caméra, une certaine invitation à la contemplation, le mélange d’images directes et de found footage, et aussi le principe dit de "fly on the wall". Pour ceux qui l’ignoreraient, la caméra "fly on the wall" consiste à avoir une caméra se voulant discrète dans l’environnement filmé, et n'interférant pas avec les personnages/acteurs. Un peu à la manière d’une mouche ou d’un spectateur omniscient qui verrait les évènements en temps réel.

Et dans ce récit entre réel et fiction, s’ajoutent des couches d’humour, de drame et de sarcasme.


Si ce film est à la limite du documentaire c’est aussi que, là où dans n’importe quelle autre œuvre les décors et les personnages passeraient pour des caricatures, ici tout semble bien réel. Je n’ai pas vérifié mais j’ai l’impression que pas mal des «acteurs» n’en s’ont en fait pas, et qu’ils jouent des rôles proches de leur véritable place dans ce monde. Un tennisman atteint d’un TDAH, des jumelles obsédées par leur chat, un nain noir difforme, une jeune femme albinos, et bien sûr le petit garçon en short portant des oreilles de lapin rose. C’est tout une galerie de gens qui semblent sortir d’une farce grotesque, et qui pourtant ont l’air bien réels. Et face à ces marginaux et à leurs portraits parfois enfantins, on ressent un mélange de compassion, de fascination et de dégoût.


J’adore les films qui empestent la crasse. Vous savez, ces films qui pourraient vous faire transpirer ou vous faire sentir sale rien qu’avec des images filmées dans des lieux insalubres avec une lumière naturelle. Et bien tout le film est comme ça !

De la boue, des maisons poussiéreuses et encombrées, et un ciel gris et lourd en quasi-permanence. Cela participe aussi à rendre les décors et les actions naturelles, on s’y croirait. C’est un film qui fait voyager, mais c’est un voyage dans un lieu que l’on n’a pas envie de visiter, une ville qui n’est jamais la destination des road-trips et qui restera toujours un lieu perdu dans la fange et le béton.


Parlons de la musique maintenant. Nos tympans vont avoir droit à un festin puisque la bande-son passe du Black Metal au rockabilly ! Et parmi tous les films que j’ai vu utilisant du Metal, c’est probablement celui qui en utilise de la meilleure façon.

La soundtrack contient du Black et du Stoner Metal, et ces genres n’ont pas été choisis par hasard. Le premier est connu pour véhiculer du nihilisme et de la haine avec des sonorités agressives et grinçantes. Le second évoque la drogue, la nonchalance et un certain état d’esprit décalé. Ces deux penchants du Metal, aussi éloignés soient-ils, ont un point commun : une certaine idée du mal-être. La plupart des enfants du film portent des t-shirts et des fringues avec des noms de groupes, et quoi de mieux quand on est un ado mal dans sa peau, perdu dans le trou du cul de l’Ohio, qu’une musique haineuse qui t’invite à te dissocier de la réalité et à tout foutre en l’air dans une société qui prêche les bonnes manières et le christianisme ?

D’ailleurs je trouve que la scène d’ouverture avec les vélos et Dragonaut de Sleep en musique de fond est juste jouissive !


Sans même de réelle histoire, sans vrai fil rouge, on se retrouve absorbé dans l’oeuvre. Ce kaléidoscope d’image et de sons est comme la tornade dont on nous parle dès l’ouverture, il nous englobe et on se retrouve transporté dans les rues de cette petite ville. Comme un étranger de passage, on regarde autour de nous, on observe les jeux malsains des enfants avec un certain sadisme et on s’abreuve des propos haineux et grossiers des adultes. C’est un bad-trip américain, un voyage court mais intense qui brasse toutes les strates de l’Amérique rurale avec un arrière-goût philosophique et traitant de sujets importants : la maladie mentale, le deuil, l’homosexualité et l’éducation.

Gummo est un film unique, une pépite du cinéma underground américain. Expérimentale, provocatrice, cynique mais aussi humaine, c’est une œuvre que j’ai adoré et que je vous recommande chaudement si vous êtes en manque de bizarrerie !


La vie est belle. Elle l’est vraiment. Pleine de beauté et d’illusions. La vie est géniale. Sans elle tu serais mort.
Arthur-Dunwich
8
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le 11 juil. 2023

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Arthur Dunwich

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