Ayant enfin trouvé une copie correcte de Happy People, je peux enfin le voir dans de bonnes conditions. J'ai adoré, au moins autant que Grizzly Man, ce qui en fait par conséquent l'un de mes Herzog préféré et l'un de mes films préférés tout court. Je me répète à chaque film d'Herzog que je vois, mais ce type va vraiment partout où j'aimerai aller, tout comme moi il est fasciné par ces hommes seuls, qui ont un réel savoir faire, qui savent survivre seuls dans la neige par des températures extrêmes.


Parce que moi je les envie ces gens là et forcément j'ai adoré les suivre pendant 1h30, dans la neige, entourés de moustiques, avec leurs chiens, leur traineau et leur fusil. Pour une fois Herzog se fait vraiment discret, on ne l'entend pas poser les questions, j'ai vraiment l'impression qu'il laisse les gens s'exprimer, parler de leur métier, de leur vie dans ce coin reculé du monde. Ces séquences sont extrêmement touchantes, pas ou peu de musique et des gens qui parlent de leur condition, de ce qu'ils vivent. Je retiendrai deux passages géniaux, l'un où un type parle de l'alcoolisme, du fait que c'est de leur faute s'ils ne savent rien faire, contredisant ainsi son camarade cherchant à rejeter la faute sur les russes. Une autre séquence marquante reste le trappeur que l'on suit le plus souvent qui raconte comment il a perdu une de ses chiennes, tuée par un ours et morte dans ses bras.


Parce que le titre a beau être Happy People, ça n'empêche pas ces gens d'avoir des problèmes comme tout le monde, d'être confronté la tristesse autant qu'à la joie. Mais si le film s'intitule ainsi c'est parce que pour Herzog, seul dans la nature, sans gouvernement, à voir la beauté et la majesté de son environnement on est forcément heureux. Et je ne peux qu'abonder dans son sens.


Herzog n'hésite pas à montrer que malgré tout ça peut être violent comme vie, qu'il faut tuer, en témoigne une séquence de chasse à la zibeline (?) où le chien met plusieurs minutes à tuer la bête. On également toujours le même trappeur qui raconte qu'on est tous des tueurs, qu'on soit éleveur, trappeur ou juste consommateur de viande, mais que pour lui chasse (et je suis d'accord) est moins trompeur, car le chasseur ne fait pas semblant d'aimer l'animal qu'il va tuer. Sa proie à lui sait qu'il veut le tuer et c'est à celui qui sera le plus malin, qu'il a essayé l'élevage mais qu'il ne peut pas tuer ses animaux. Je comprends tout à fait également.


Néanmoins ce discours m'a fait réfléchir sur quelque chose qui n'a rien à voir, mais il montre bien que les donneurs de leçons sur la consommation de viande sont des bourgeois privilégiés, pas des gens qui vivent dans la nature sauvage où c'est tuer ou être tué (ou bien mourir de froid). Finalement ces trappeurs vivent au beau milieu de la nature, font partie de la nature et font bien moins de mal à la planète, surtout lorsque comme ici ils semblent conscient de ce qu'ils font, qu'un type qui fait venir ses légumes bio par camion...


Le film montre d'ailleurs bien à quel point le trappeur est conscient de ce qu'il fait, puisqu'il blâme les gens qui viennent juste chasser quelques semaines, qui tuent plus que nécessaire pour avoir de sous et surtout il montre que c'est un processus long, qu'une saison de chasse hivernale se prépare déjà au printemps. Ainsi, les amateurs sont avertis. Parce que je pense que tout le monde en voyant ce film a également envie de connaître ça, subvenir lui-même à ses besoins, éprouver la nature, sentir la solitude et tout simplement vivre au plein air aussi difficile que cela puisse paraître, mais il montre que ce n'est pas quelque chose qui se fait à la légère, quelque chose qu'on peut réserver chez un tour opérateur : "2 semaines de chasse en Sibérie à partir de 789€", que c'est un mode de vie et que s'il y a une forme de spiritualité là-dedans, ce n'est pas une spiritualité fast food prête à consommer, où on atteindrait le Nirvana en quelques jours après s'être débarrassé de ses deniers auprès d'une agence de tourisme. Forcément, ça ne fait que me motiver plus encore, même si je n'en serai jamais capable... ça reste un idéal.


C'est tellement difficile, il faut tellement de savoir faire que même les autochtones ne savent plus faire, je trouve ça extrêmement émouvant de voir des gens se rendre compte de la perte qu'il y a de génération en génération et ça me rappelle l'introduction d'Hélas pour moi de Godard qui relatait la même chose. Les pertes de savoir-faire, un savoir qui n'est plus transmis, heureusement ils sont encore là pour raconter l'histoire.


En somme c'est un film réellement fabuleux qui témoigne d'un autre mode de vie, d'une autre façon de faire, loin de la modernité, comme se plaît à le souligner Herzog, qui depuis que je le redécouvre ces derniers mois semble m'impressionner de plus en plus.

Moizi
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le 6 nov. 2016

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Moizi

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