"Harlequin" est une œuvre à l'atmosphère baignée de lumière dont l'inquiétante étrangeté qui en émane souligne les ténèbres auxquelles il se réfère dans un geste où fantastique, paranoïa et manipulations vont se conjuguer pour une proposition rare.


Si l'on devait le résumer en une phrase, ce serait la projection à une époque moderne de l'énigme que fut Raspoutine, ce mystique russe qui par ses "pouvoirs" de guérisseur, a réussi à gagner le cœur et la confiance de la famille tsarine tout en motivant auprès de l'entourage de cette dernière les sentiments les plus hostiles et les craintes quant à son influence grandissante sur les décisions de Tsar. On pourra aussi y retrouver quelque chose du chef d'œuvre de Pier Paolo Pasolini, "Théorème" notamment dans le mystère qui entoure cet étrange personnage aux intentions énigmatiques et à l'aura indéniable, qui va bousculer l'étiquette au sein d'un foyer bourgeois membre de l'élite politique du pays.


Rick Rast - on notera l'anagramme du patronyme avec Tsar - est un homme dont l'ambition politique vient soudain de prendre une tournure inespérée suite à la disparition du sénateur en place, que bien des éminences grises voudraient le voir remplacer, obsédé par sa carrière il délaisse sa femme et surtout son jeune fils atteint d'une leucémie qui le condamne à une mort très prochaine.

C'est alors qu'un étrange personnage parvient à pénétrer la forteresse pourtant étroitement surveillée de la famille Rast pour y guérir le jeune garçon, comme le Christ guérissait de façon miraculeuse les lépreux. Si le père reste sceptique et préfère s'en tenir aux réserves du corps médical, la mère croit intimement au miracle qu'a perpétré ce visiteur dont l'aspect et l'attitude, dont l'apparence et le comportement vont interroger sur sa nature réelle. Un magicien particulièrement habile ? Un manipulateur hors pair maître de l'hypnose ? Un être surnaturel venu aider l'enfant condamné ? Un escroc usurpateur d'identité qui jamais ne sort de son rôle ? Le film n'élude aucune de ces possibilités et ce doute permanent va distiller chez le spectateur un étrange sentiment mêlé d'angoisse et de fascination.


Pour en revenir à mes deux références introduites en amorce de cette critique, le déroulé et la tournure que prennent les relations de ce mystique avec les différents personnages et la progression narrative qu'emprunte ses actions au cœur de cette micro-société sont pour moi, de façon évidente, inspirée du moine guérisseur. Son aptitude à se rendre indispensable plus que nécessaire auprès de ses soutiens, à soigner l'enfant tout en s'en faisant un ami, à déjouer les pièges, critiques et autres oppositions formulées contre lui. Avec tout du long pour le spectateur l'ambition de maintenir tant l'angoisse que la fascination. Et cette fascination justement vient convoquer celle qui nous habite devant le "Théorème" de Pasolini, dont on termine à la fois époustouflé par le chambardement que provoqua dans cette famille bourgeoise l'être mystérieux qui comme là est parvenu à infiltrer ce logis et à la fois étrangement inquiet de constater ses facilités à tordre les esprits.


S'opère une tension qui allant crescendo jusqu'aux manifestations des dons surnaturels de ce "Raspoutin" réincarné, dont la noirceur d'âme se confond longtemps avec son aspect coloré, fabuleux, quasiment féérique, mais les choses ne sont peut-être pas ce qu'elles paraissent. Et si le but premier de cet énigmatique personnage n'était pas en réalité de dévoiler les dessous d'une machination, d'un complot, dont la première victime serait finalement l'aspirant sénateur ?


Si ça et là les esprits chagrins pourront regretter l'aspect vieillissant de certains effets spéciaux, ce qui moi ne m'a pas suffisamment dérangé pour me résigner à rompre ma suspension d'incrédulité, le film dans sa direction artistique et sa mise en scène a un délicieux parfum de suranné qui m'a énormément séduit, mais je peux entendre que cela soit une réserve pour d'autres. Il faut accepter que le temps et le progrès technique réalisé en 45 ans ont fait leur œuvre sans pour autant rendre l'ensemble du film irregardable, bien au contraire.


Exemple sans doute moins connu ou commenté que d'autres films appartenant à ce mouvement que j'apprécie énormément qu'est l'ozploitation, il montre une fois de plus la créativité d'un cinéma iconoclaste, ne cessant de s'emparer des genres et des styles pour se les approprier et y apporter tout un esprit indissociable de toute la geste culturelle australienne.


Je vous ai dit que j'adorais le cinéma australien ?

Spectateur-Lambda
6

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Créée

le 29 oct. 2025

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