I'm eating dog, lol #HighRise #TomHiddletonNaked #BestPartyEver

[Pour ceux qui voudraient accéder directement à ma critique du film, je vous invite à passer outre l'énorme bloc spoiler que voici ; pour ceux qui seraient intéressés par le récit autocentré de mon histoire de désamour avec Ben Wheatley, ne vous en prenez qu'à vous-même.]


17 Janvier 2014, 22h30, Tromsø. 24ième édition du Tromsø International Film Festival, j’arpente les rues enneigées de la Paris du Nord, courant d’un cinéma à l’autre en engloutissant un sandwich à 8 euros. Bien décidée à rentabiliser à l’excès le badge presse qui se balance autour de mon cou (il me fera économiser plus de 400 euros), je m’élance d’un pas décidé vers la dernière séance d’une interminable journée, ravie d’achever mon marathon quotidien avec un film de la sélection Overdrive, où j’ai déjà eu le plaisir inouï de découvrir Why Don’t You Play In Hell?, de mon déjà adulé Sono Sion. J’ai donc parfaitement conscience d’avoir déjà vu le meilleur film du festival, mais ce Sightseers du dénommé Ben Wheatley semble néanmoins plein de promesses : il fait d’ailleurs salle comble au Verdensteatret ce soir-là.


Très vite, le constat se fait sans appel : quel rafraîchissement ! C’est original, jouissif, subversif, et bien filmé avec ça ! Une vraie bouffée d’air frais après Your beauty is worth nothing ou A time for drunken horses. L’enthousiasme, pourtant, ne dure qu’un temps. Plus le film avance, plus il semble tourner en rond, tourner à vide. Pire : il devient insensé, confus et répétitif à la fois. Peu à peu s’immisce en moi le sentiment d’une farouche gratuité. En l’espace d’une heure et demie, mon état d’esprit a le temps de dégringoler de la jubilation à la haine. Je sors de la salle en me sentant insultée par ce que je viens de voir. Mon seul réconfort est que la courte durée du film me permet, pour une fois, d’attraper le dernier bus. Je n’aurai pas en prime à marcher une heure et demie par -15°.


19 Janvier 2014, 00h49, Tromsø. Edmundo, mon rédacteur en chef, reçoit mes quatre dernières critiques du festival. Parmi elles, un éloge pleine page de Narco Cultura qui ne trouvera jamais sa place dans la maquette finale (que j’ai déjà monopolisée avec mes louanges à Sono Sion pour Why Don’t You Play In Hell?), et un article dégoulinant de bile intitulé A roadtrip to nowhere. Il débute ainsi : « Sightseers seems to be all about gratuity ».


18 août 2015, 17h30, Béziers. Enfin. J’attends ça depuis des mois – un an en vérité – mais depuis la fin du Festival du Film Insolite de Rennes-le-Château, je trépigne véritablement. Mon mémoire est soumis depuis 4 jours, ma soutenance viendra ensuite ; ce créneau de ma vie est réservé depuis longtemps – j’ai même choisi mon travail en fonction de lui. Enfin, le programme de l’Etrange Festival est tombé, relayé sur SensCritique par angel25 - dont je sais déjà, pour l’avoir rencontrée à un film de Sono Sion lors de l’édition précédente, combien elle est une éclaireuse prometteuse. Les 11 jours les plus heureux et gratifiants de mon année sont officiellement annoncés. Cette fois-ci, Sono Sion ne sera pas présent pour que je pleure six fois toutes les larmes de mon corps devant lui, mais deux de ses films sont sélectionnés, ce qui suffit à mon bonheur. Aussitôt, munie d’un papier et d’un crayon, je m’attelle à la tâche épineuse de calculer les horaires et durées de tous les films présentés afin de pouvoir maximiser, une fois encore, mes visionnages.


Deux heures plus tard, mon programme réglé comme du papier à musique, j’admire mon œuvre. C’est alors que je prends note d’un fait intéressant : le festival accorde cette année une carte blanche à Ben Wheatley – et j’ai naturellement immédiatement reconnu ce nom sinistre – et, sans l’avoir spécialement cherché, sur le précieux papier que je tiens entre les mains, aucun des films qu’il a proposé n’a passé ma sélection. Remarque amusante (qui repose en vérité essentiellement sur la coïncidence horaire, d’autant que je finirai par aller voir La Castagne) mais qui a pour moi valeur de validation interne, et confirme mon sentiment de désamour à l’égard de l’anglais. Cela tombe bien, sur la photo de sa présentation, sa gueule ne me revient déjà pas.


29 février 2016, 19h00, Paris. Je suis, comme d’habitude, beaucoup trop en avance pour la Cinexpérience de ce soir. Heureusement que Delspooner (autre éclaireur cueilli à un film de Sono Sion lors de l’Etrange Festival 2014) et Manar Gueddaoui sont aussi précoces que moi et me tiennent compagnie. Pendant l’heure qui suivra, et qui verra notre groupe peu à peu s’élargir, les pronostics vont bon train : c’est que les Cinexpériences sont nombreuses cette semaine et qu’il faut songer à ce qui peut tomber. On sait le réalisateur de Moonwalkers en ville ce soir, mais Delspooner et moi l’avons déjà vu à l’Etrange Festival et espérons du neuf. Evolution ? Il est passé au Paris International Fantastic Film Festival, mais ses premières notes sont mauvaises… Je vous épargne ici la longue liste des candidats envisagés pour sauter directement à la conclusion : personne, ce soir-là, ne s’attendait à ce qui allait nous être présenté.


29 février 2016, 20h, Paris. Sur l’écran s’affiche le nom de Ben Wheatley, et mon sang ne fait qu’un tour : un mélange d’excitation à l’égard de l’importance de cette avant-première et de réticence vis-à-vis de ma précédente expérience avec le réalisateur. Je suis pourtant prête à lui laisser sa chance, ne voulant le juger sur une seule œuvre, et l’enthousiasme que la bande-annonce du film avait suscité chez mes éclaireurs m’avait de toute manière décidée à m’y confronter. Je suis donc tout à fait ravie que le film me soit présenté ce soir. Ce que je ne sais pas encore, c’est que je m’apprête à revivre la même descente aux enfers que pour Touristes deux ans plus tôt.


Le film démarre impeccablement. Un Tom Hiddleston des plus séduisants nous entraîne dans le chaos et l’obscurité dense d’un monde trop rangé et trop éclairé. Ce monde, c’est celui de ceux que l’on envie et méprise simultanément, de ceux que l’on hait de n’être pas nous : riches, beaux, prospères, tout est à portée de main dans leur tour d’ivoire. On sent la projection dégoulinante d’amertume alors que la caméra s’attelle à la critique facile mais esthétique d’un milieu maniaquement contrôlé, ses environnements cliniques, ses rapports humains réglés à l’excès. Le genre d’utopie qui ne peut qu’être éphémère, celle qui appelle de ses vœux sa propre destruction. Si un flash-forward n’avait pas agité cette promesse devant nous dès l’ouverture du film, nous aurions déjà pu deviner son issue funeste. Le symbole est vieux comme le monde des fantasmes : le péché d’ubris, la tour de Babel. Il ne reste plus qu’à attendre que la foudre s’abatte sur la Maison Dieu.


Les premières lueurs du Tartare qui murmure ne tardent pas à apparaître. C’est que cet Elysée n’est finalement pas si bien conçu, et bien vite surviennent des pannes qui ne sont pas dignes d’un immeuble d’un tel standing. Pire : si un rêve d’harmonie a présidé à l’érection [toi là-bas, je t’interdis de ricaner !] du gratte-ciel, il faut se rendre à l’évidence d’une sévère ségrégation sociale entre habitants, qui présage déjà du pire. C’est alors que se produit un événement métafilmique : au moment même où l’histoire commence à tourner au vinaigre, le film lui-même commence à se dissoudre, tant au niveau du fond que de la forme. L’enjeu s’écroule aussitôt annoncé pour basculer dans une mascarade burlesque dont le seul objet semble être de nous mettre de la débauche plein la vue. Me revient à la bouche un mot familier concernant Ben Wheatley : gratuité.


Je pourrais reprendre ici mot pour mot ma critique de Touristes d’il y a deux ans, mais comme la traduction est fastidieuse et l'intérêt limité, je m’en tiendrai aux grandes lignes : « Le film est une concaténation d’événements absurdes, et si cela s’avère amusant à première vue, on regrette rapidement que cela semble sans objet. Pire : une fois que l’on a compris le principe, on a compris le film dans son ensemble […]. Même les personnages perdent rapidement tout intérêt car ils sont dépourvus de la moindre profondeur. » En somme, ce film a de fâcheux relents de « d4rk Very Bad Trip » - ce n’est pas la chèvre et le cheval qui me contrediront – et ne nous apportera qu’une accumulation outrancière de sexe, violence et ordures, derrière l’illusion d’une portée politique que le film lui-même semble ne pas prendre au sérieux.


La comparaison avec Snowpiercer (je ne traiterai ici que des films) vient naturellement à l’esprit : on transpose simplement à l’axe horizontal un axe vertical ; or je fais partie des rares qui ont trouvé le film de Bong Joon-Ho trop schématique et grotesque. Je me rends compte, au moment de faire la comparaison avec High-Rise, de ma sévérité excessive envers Snowpiercer, car au moins celui-ci conservait, au-delà de ses caricatures irritantes, une unité, un sens du rythme et de l’objet. La parabole a beau être simpliste, elle fonctionne ; High-Rise tente d’usurper un discours social qui ne repose sur rien. Ainsi, si on nous répètera souvent que le positionnement des habitants dans la tour définit leur niveau social, de l’architecte mégalomane occupant le Penthouse (Dieu dépassé par sa création chahuteuse) aux familles nombreuses qui vivent en bas en manque de lumière, on ne manquera pas de noter que tous les habitants « paient la même chose ». Quelle est alors la justification de ce discours de classes ?


Ici, je vois deux possibilités : 1) Soit le positionnement des gens au sein de la tour est déjà, en soit, une parabole, mais à ce moment-là je trouve ce niveau d’abstraction contradictoire avec d’autres éléments trop concrets du scénario. 2) Soit il y a eu initialement sélection et attribution des étages en fonction de l’étude des dossiers des habitants, puisqu’il semble qu’il faille en présenter un pour rejoindre le club ultra-privé des dégénérés de la Tour. Cela me paraît l’explication la plus plausible, mais je regrette qu’elle ne soit absolument pas explicite – et puisque le film est globalement si outrageux, je doute que ce soit là une tentative de subtilité et de mise à l’épreuve du spectateur.
Car c’est bien ici le souci : j’ai l’impression d’être infantilisée par Ben Wheatley. Comme s’il ne voyait en moi que mes instincts primaires, qui seront grassement satisfaits par ma dose jubilatoire de sexe et de violence - et moi je vois un produit marketing à la même ligne éditoriale que Le Nouveau Détective. Au sortir de la salle, Double Alikum m’a glissé une image que j’ai trouvé parfaitement appropriée : « J’avais l’impression d’être un cochon qu’on nourrit ».


Soyons bien clair ici : je ne méprise absolument pas ceux qui ont apprécié voire adoré le film, car il a des raisons d’être aimé, ne serait-ce que techniquement, et sa foultitude de symboles donne de quoi se mettre sous la dent. Simplement, je recherchais avant tout à travers lui une expérience capable de m’atteindre émotionnellement, ce qui ne fut absolument pas le cas ici. A deux reprises, j’ai pu me sentir exaltée par la brutalité de coups acharnés. C’est tout. Et c’est à ce titre précisément que je me sens, disons-le, ouvertement insultée par High-Rise. J’ai l’impression qu’il cherche à me dire « regarde, tu n’as jamais vu un film pareil, c’est tellement subversif ! », alors que j’ai déjà vu 100 fois ce qu’il me montre. J’ai peut-être trop hanté les couloirs de l’Etrange Festival, trop fouillé les tréfonds du web à la recherche de cinéma punk japonais, peut-être mon cerveau est-il saturé d’images de décadence. Toujours est-il que je n’ai vu dans High-Rise qu’une bête répétition de clichés éculés.


En outre, si j’ai jusque-là essentiellement parlé du fond, il faut noter que la forme aussi m’a laissée de marbre : ruptures de rythme à tout-va qui ne viennent en rien épouser les courbes du scénario, trips visuels sortis de nulle part qui semblent avoir pour objectif avoué d’ajouter à la confusion, plans sans grande originalité qui paraissent juste empruntés à d’autres qui les cadrent mieux. Globalement on ne peut pas dire que ce soit mal filmé, je l'accorde volontiers, mais c'est plutôt le montage que j'interroge : là encore, je guette un sens dont on m'a privée. L’artificialité qui s’en dégage est à l’image du film dans tous ses aspects : une vantardise facile, un amas d’idées piochées ici ou là à des films plus expérimentaux ou plus subversifs, le tout placé dans un joli écrin de toc, et placardé de symboles disparates mais ô combien orgueilleux, qui pourraient se prostituer à n’importe quelle interprétation sociale ou mystique.


Certes, j’aurais pu éteindre mon égo et profiter simplement du film pour ce qu’il avait à me donner, et je vous jure que j’ai essayé et même cru y parvenir pendant la première moitié. Mais face à un réalisateur qui avait déjà su si bien attiser mon capital antipathie (et pourtant, je trouve même des excuses à Takashi Miike…), la tentation de hurler « je ne suis pas dupe ! » était trop grande. Pour dire les choses franchement, pour moi, High-Rise est tout juste au-dessus du niveau des premiers films qui peuvent être présentés à l’Etrange Festival – simplement avec de plus grands moyens et de meilleurs acteurs. Cela, hélas, ne suffit pas à insuffler à un film une aura authentique, au point qu’alors que les décors ressemblaient de plus en plus à mon appartement le mois suivant une soirée, des flashes du (qualitativement) cauchemardesque Excess Flesh me sont même remontés. Heureusement, ce petit bijou de mauvais goût et de piètre réalisation reste un secret que seules quelques têtes brûlées partagent. Il n’en sera pas de même pour High-Rise.

Shania_Wolf
3
Écrit par

Créée

le 2 mars 2016

Critique lue 2.6K fois

22 j'aime

4 commentaires

Lila Gaius

Écrit par

Critique lue 2.6K fois

22
4

D'autres avis sur High-Rise

High-Rise
Morrinson
4

The harder they fall

Ben Wheatley. On commence à le connaître, le lascar. Un expert dans l'art de la provocation à des niveaux divers, thématique, esthétique, horrifique. Pour donner quelques éléments de contexte afin de...

le 31 mars 2016

46 j'aime

20

High-Rise
Vincent-Ruozzi
7

Snowpiercer prend de la hauteur

Adapté du roman éponyme de l'écrivain britannique J. G. Ballard sorti dans les années 70, High Rise est une histoire qui a tout pour plaire aujourd'hui. Sorte de dystopie en huis-clos, les...

le 3 mars 2016

45 j'aime

High-Rise
Velvetman
4

Révolution sous Xanax

Les œuvres de J.G. Ballard sont toujours fascinantes à transposer au cinéma, surtout lorsqu’elles sont remises entre de bonnes mains. Et quand la satire sociale de l’écrivain « I.G.H » se voit...

le 4 août 2016

40 j'aime

Du même critique

Split
Shania_Wolf
5

Fin de course ?

On a bien du mal à s’imaginer que la même personne se trouve derrière l’ambiance dosée et maîtrisée de Sixième Sens ou Signes et la mise en scène facile et sans personnalité de Split. C’est que le...

le 19 févr. 2017

134 j'aime

12

La Tortue rouge
Shania_Wolf
7

Une île de poésie dans un océan de blockbusters

Extrêmement épuré, dans l’histoire, l'image comme le son, La Tortue Rouge promet une expérience apaisante, suspendue au-delà du temps. Un instant de poésie dans ce monde de brutes, mais dont les...

le 28 juin 2016

104 j'aime

3

The Assassin
Shania_Wolf
4

Ôde à l'esthète

La forme sans le fond. C'est un regret amer, celui d'un parfum somptueux qui s'évapore aussitôt, d'arômes riches qui ne tiennent pas en bouche. On frôle le sublime mais ne reste que la...

le 18 févr. 2016

101 j'aime

18