Hostiles de Scott Cooper est le premier vrai chef d’œuvre de ce début d’année 2018. Empruntant autant à John Ford qu’à Clint Eastwood, ce western désespéré et violent suit le chemin d’une Amérique tapissée par le sang, lieu où les personnages ne voient leurs existences que par le chemin de croix qui les mène à la mort.


Genre cinématographique rêche et aride, le western a toujours été un parfait miroir artistique pour définir l’Amérique, autant dans sa violence que dans la création fracturée d’un territoire vaste mais jonché de la mort venant des conflits. Alors que l’industrialisation va bientôt éclore, l’Ouest américain connaît encore des discordes sanguinaires entre colons et Amérindiens. Hostiles fait partie de ces films, mélancoliques et foudroyants : des personnages brisés, des hommes et des femmes qui ont vu les pires atrocités, guerre raciale avec/entre les Amérindiens (Cheyennes et Comanches) et une vie qui se déroule dans l’enfer de la pénitence. La culpabilité mais aussi la soif de vengeance fait partie intégrante du récit.


Ce film durement beau est également propice au thème de la régénération spirituelle, à la bataille avec soi-même, au cours d’un voyage épique et lancinant devenant une parabole de l’humanité qui essaye tant bien que mal de se sortir elle-même du cercle de la haine. Pourtant lorsqu’un soldat, Joseph Blocker, ancien héros de guerre, doit escorter Yellow Hawk sur ses terres, prisonnier et chef de guerre Cheyenne, parce que ce dernier est mourant, les certitudes des uns et des autres vont vaciller. C’est alors que Scott Cooper dévoile une œuvre impressionnante, qui capte la moindre parcelle de douleurs, proche parfois de l’envie suicidaire et de l’auto destruction, soit dans des moments contemplatifs que ne renierait pas Terrence Malick, soit dans des séquences sanglantes d’une froideur implacable, comme en témoignent ces premières minutes, montrant le meurtre d’une famille où mari et enfants sont tués sans distinction.


Par ce début, sanguinaire et terrible, Hostiles ne cache pas son envie de montrer l’effroyable sans que cela devienne un gimmick doloriste. A peine cinq minutes s’écoulent que l’œuvre de Scott Cooper annonce, avec une férocité déchirante, le genre de film qu’il va être, à la fois thématiquement, visuellement, et intransigeant dans ses perspectives. Par son cadre, sa justesse dans le montage qui se fait soit au cordeau soit en apesanteur, Scott Cooper agence son film comme une longue et funèbre errance qui se questionnera au fur et à mesure sur l’humanité et la déchéance de ces personnages. Tout comme L’Appât d’Anthony Mann, Scott Cooper se sert du western comme catalyseur de la solitude de l’Homme, laisse construire son histoire par les obstacles et par les rencontres sanglantes longeant ce road movie désertique : à l’image de l’ancien compagnon de guerre de Joseph qui doit être jugé pour l’assassinat à la hache d’une famille amérindienne. Rencontre qui questionne sur le véritable visage meurtrier de Joseph et son passé de soldat.


Porté par un Christian Bale absolument incroyable de détresse et par la fabuleuse Rosamund Pike brisée par le trauma, Hostiles fait osciller son rythme entre ses digressions religieuses et humanistes avec ces spasmes choquants de violence, dotés de la photographie radieuse de Masanobu Takayanagi qui rend parfaitement justice à de magnifiques paysages naturalistes et nocturnes. Partant d’une vision de l’Ouest américain comme une terre régie par la force brutale et les remords, Hostiles offre la possibilité à ses personnages de se confesser, de guérir ou de se crucifier eux-mêmes par le dégoût qu’ils ont pour leurs actes passés, de voir surgir les différences comme étant des ressemblances.


Sous l’égide de la douce symphonie de Max Richter, les idées reçues s’effritent, les cris se dispersent dans la forêt et Scott Cooper donne naissance à un récit d’une rare force, d’une réelle modernité sur les frontières à la fois géographiques mais aussi humaines qui nous séparent les uns des autres. La violence est omniprésente, les décors sont somptueux, la douleur est palpable, mais ce qui fait la grande réussite du film, est le dessin de cette humanité sur la brèche, de ces interrogations que chacun se porte à soi-même au travers d’un code d’honneur, ou d’une culture malmenée par le conflit. Cependant, derrière ce nihilisme, se dévoile un espoir, une réconciliation, un respect naissant entre les peuples, une main tendue vers une autre malgré les coups de feu incessants.


Article original sur Cineseries Le mag

Velvetman
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le 18 mars 2018

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