Nov 2009:

Je n'ai pas sa filmographie dans la tête. Je ne sais plus s'il est situé avant ou après Pas de problème ou Est-ce bien raisonnable?, qui, de mémoire, n'étaient pas si mauvais. Les Lautner suivants sont fatigués, au régime sans sel. Quant à celui-là, il est franchement mauvais. Pourtant je l'aime bien. Si je laisse de côté l'aspect affectif, nostalgique et mon regard d'enfant biberonné aux navets de ce genre, je suis tout de même obligé de reconnaitre que le film est très laid et écrit à la va-vite.

A ce propos, on a rarement entendu répliques aussi minables : les tentatives pseudo-scientifiques d'expliquer les phénomènes paranormaux qui assaillent le quotidien de Guybet et Lefebvre sont un méli-mélo incohérent de termes plus ou moins ésotériques ou techniques dont le sens échappe complètement aux scénaristes-dialoguistes (Lautner, Carbonnaux, Kantof et Mulot). L'inculture crasse suinte à tout bout de champ : la représentation folklorique des cultures mauriciennes en est une illustration évidente. Un plan promotionnel sur une couverture de bouquin de Jean-Michel Pedrazzani, "Le temps des sorciers" en dit long des influences intellectuelles et scientifiques qui président à l'écriture du scénario. Amalgames, clichés, superstitions, méconnaissances grossières forment un encrier grotesque dans lequel sont venus s'abreuver le groupe de scénaristes en mal d'idées spectaculaires afin de trouver un prétexte pour aller tourner à l'île Maurice. Parce que le film n'a été pensé, écrit, produit que pour tourner un film au soleil. Ne nous leurrons pas. Après, sûrement que l'idée comique de transposer les déboires magiques des deux tartignolles en France a permis d'équilibrer un tantinet le film et qu'il n'apparaisse pas uniquement comme un dépliant touristique. Mais il faut avouer que l'accumulation de plans "placement de produits" sur la première partie du film tournée à l'île Maurice a des allures très mercantiles, profiteuses et que celle des séquences touristiques fait immanquablement penser à ces films documentaires touristiques que l'on diffusait jadis dans les ciné-clubs.

Quoiqu'il en soit, les préoccupations comiques paraissent en quelque sorte grignotées. L'humour de la première partie est d'une rare imbécillité. Sans doute les relents colonialistes qui s'en dégagent sont-ils pour beaucoup dans ma retenue. Les deux personnages de Lefebvre et Guybet ont bien du mal à s'imposer. Guybet hérite d'un rôle d'une bêtise sidérale, exceptionnelle. Lui trouver un quelconque attrait relève de l'exploit. Un imbécile gras. Il faudra attendre la partie parisienne pour qu'il se contente d'être juste un peu normal. Lefebvre ne fait pas du Lefebvre, chose extraordinaire, il joue un cadre. Hé oui. On a du mal à y croire, c'est le moins que l'on puisse dire. Il subit mais n'est pas aussi crétin que Guybet. Il est le seul à vraiment se mettre en colère face aux éléments contraires déchaînés. Guybet rouspète un peu quand le gibier "noble" qu'il a tiré à la chasse est transformé en un gibier moins noble. Me demandez pas je n'y connais rien mais c'est à peu près ce que j'ai compris de sa pseudo colère. Concernant ces deux personnages, vous voyez qu'il n'y a pas grand chose à dire. Les comédiens font ce qu'ils ont l'habitude de faire, rire grassement, prendre des airs ahuris etc, sans apporter une touche d'originalité ou réellement personnelle qui éveille l'intérêt du spectateur. Plus j'écris et plus je me demande pourquoi j'aime bien ce film (ça sent le nanar).

Il y a trois comédiens, secondaires certes, qui sont très bons dans ce film. D'abord l'immense Julien Guiomar que j'adule. Ce type est un acteur tout simplement génial. Dans sa démesure, il parvient toujours à garder de film en film une finesse et une maitrise qui lui permettent de toujours jouer juste, même sans direction d'acteur. Cabotineur en diable, son outrance est toujours impeccable. Sa diction n'est jamais prise en défaut. Le rythme, l'oeil, les ruptures de tons sont incroyablement maitrisés. L'écouter, le voir sautiller sur ces fils invisibles me procure un plaisir sans cesse renouvelé. Il se dégage de cet acteur une poésie gracile. Julien Guiomar est une libellule dans un corps de taureau. Je l'aime. On ne dira jamais assez qu'il était un très grand acteur. Fuoriclasse.

Ce film donne également l'opportunité à une comédienne d'exprimer toute l'étrangeté et l'univers bizarroïde que sa manière de parler, de bouger, de jouer en somme, trimballe et expose. Catherine Lachens est une comédienne hors du commun. Ne l'ayant que peu vue jouer, j'ai bien du mal à savoir si elle est vraiment douée ou si elle n'a que le talent de vampiriser ses rôles. Peu m'importe. Sur ce film, elle avance seule, à contre-courant, à son rythme, sur son petit nuage et c'est formidable.

Et puis je pense à un autre hurluberlu, Michel Peyrelon, une trogne que vous devez au moins connaître si vous ne parvenez pas à lui coller un nom. Lui aussi a une voix et un ton bien à lui, qui lui donnent un air de malade mental, une sorte d'hystérique mâle, à la fois effrayant et ridicule. Il trimballe son monde avec lui et c'est tout aussi magnifique que saugrenu. Applaudissements.

Pour ces trois-là, le film vaut 100 000 fois d'être vu.
Oups, j'allais oublier un autre très grand, Daniel Ceccaldi. Je l'oubliai sans doute parce sa participation est légèrement décevante. L'espèce de duo de clowns qu'il forme avec Lefebvre à Maurice est presque pénible, trop enfantin, inerte. Par contre, je retrouve un peu de cette perfection dans la narration qu'il fait pendant le diner. Sa voix, son regard qui s'allument et son visage rayonne. Le Ceccaldi de "L'hotel de la plage" de Lang, celui de "Pleure pas la bouche pleine" ou "Le chaud lapin" ou "Celles qu'on n'a pas eues" de Pascal Thomas refait surface. C'est tout de même un acteur immense caché dans une multitude de petits rôles. Un type talentueux peu reconnu, un second rôleur exemplaire.

Faut-il évoquer Renée Saint-Cyr, qui a retrouvé grâce à son fiston (Lautner) quelques vagues rôles en fin de carrière? Je n'en suis pas persuadé, alors passons.

Pourquoi j'aime ce film alors? Il y a forcément un petit rapport affectif, une trace d'enfance, une sorte d'empreinte indélébile (en l'occurrence, d'aucuns diraient "débile") de ce passé de très jeune vorace cinéphagique qui'il ne me viendrait jamais à l'idée de renier tant il m'a permis de me constituer. Sans doute que le plaisir envieux, la joie galopine de suivre ces histoires de sortilèges a construit aussi mon juvénile enthousiasme. Je remarque d'ailleurs que la revoyure récente a complètement hypnotisé le marmot de la famille, qui invite depuis tous ses copains à venir voir le film à la maison le week-end. Les sorciers fascinent, ici d'autant plus qu'ils sont associés au rire ; esprits et sorciers farceurs.

Mais je crois que ce qui me plait plus encore est à rechercher dans l'espèce de bonheur qui émane du film, une nonchalance, une absence d'inquiétude, une béatitude satisfaite, une sérénité qui se dégage des personnages, bref la nostalgie d'un temps vraiment insouciant, bêtement sans doute car le monde n'était pas aussi tranquille que ces productions grand public voulaient bien nous le faire accroire, pas plus heureux que le nôtre, mais l'individu n'était pas encore totalement centré sur lui même (bien que les signes matérialistes bourgeois sont légions) et surtout les médias qui relaient les angoisses par leurs réseaux émotionnels n'avaient pas la place et l'omniprésence actuelle non plus. J'imagine que ce petit film et son humble ambition témoignent dans une certaine mesure de cette période encore "innocente". La sinistrose chronique n'a pas atteint toutes les aires sociétales. Je me branle sûrement un peu beaucoup à la folie la tête là, non? Doit bien y avoir d'autres raisons qu'un intérêt d'enfant et trois-quatre acteurs géniaux ou insolites pour expliquer la véritable affection qui peut me faire voir et revoir cette petite crotte.
Alligator
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le 30 mars 2013

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Alligator

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