Avec ‘Ils sont vivants’, Jérémie Elkaïm signe un premier film inégal : très bon dans sa première partie ancrée dans un certain réalisme, plus bancal dans sa seconde partie qui quitte son le réalisme social pour choisir un angle plus romanesque qui marche moins. Elkaïm offre tout de même un rôle en or à Marina Foïs, qu’elle interprète remarquablement.


Béatrice, devenue récemment veuve, vit avec sa famille. Elle est aide-soignante en gériatrie et est un peu raciste. Alors qu'elle rencontre Mokhtar, un enseignant iranien qui a fui illégalement en Europe, sa vie et ses croyances font des ravages. Par amour, elle doit affronter les préjugés de ses proches et les lois de son pays.


Jérémie Elkaïm ancre son film (en tout cas au début) dans une forme de réalisme ou plutôt d’authenticité. Jérémie Elkaïm se place dans la continuité d’une frange du cinéma français dont la cheffe de file serait aujourd’hui Maïwenn (pour laquelle Elkaïm a d’ailleurs été acteur). L’acteur-réalisateur est en recherche de scènes-vérité ou la vérité, l’authenticité prime sur l’hyperréalisme ou l’éfficacité. En témoigne la scène d’ouverture très réussie de l’enterrement du mari de Béatrice, où les pompes funèbres n’arrivent pas à faire entrer le cercueil dans le caveau. Cette scène rappelle le film ‘ADN’ de Maïwenn où la famille avait un fou rire au moment de choisir le cercueil du grand-père devant l’employé des pompes funèbres. Dans cette première partie, Elkaïm s’attache donc à décrire la vie de cette femme, sa mère et son fils, sa relation avec les collègues de son mari décédé (qui était flic). Le film montre très bien ce qu’est la jungle de Calais, le travail des bénévole, la vie très précaire des réfugiés. D’ailleurs, le film n’est pas totalement dans l’encensement des associations. En témoigne le personnage d’Ingrid (interprétée par l’excellente Laetitia Dosch) bénévole aux très bonnes intentions mais qui fait beaucoup de dégâts collatéraux.


La seconde partie qui débute avec la liaison entre Béatrice et Mokthar est moins réussie. Le film quitte alors la recherche d’authenticité prévalant jusque-là pour un romanesque plus sentimental. Elkaïm a cherché une façon originale de représenter les scènes de sexe et le désir de Béatrice. Mais les scènes sont trop longues, et finalement sans intérêt. Avec ses scènes, Elkaïm enlève toute cohérence avec la première partie. On ne voit quasiment plus la jungle. Les second rôles (Geneviève Mnich dans le rôle de la mère et Igor Van Dessel dans le rôle du fils) sont un peu sacrifiés.


Le film est surtout porté par l’incroyable performance de Marina Foïs qui livre une interprétation toute en finesse et subtilité. Marina Foïs réussi à montrer son tiraillement entre ‘son ancien milieu’, son mari décédé étant un flic devant gérer à leur manière la jungle, et son envie, plus récente, de venir en aide aux migrants. Contrairement à l’avis de sa famille, ses amis et aux collègues de son mari, elle va s’obstiner. Dans une scène intéressante, un membre de l’association pro-migrant tente de la mettre en porte-à-faux, ce qui la met dans une colère noire. Car cette Béatrice, foncièrement raciste et anti-migrants au début, va s’ouvrir à l’autre. Contrairement aux personnages statiques du film de Constance Meyer ‘Robuste’, voilà un personnage qui évolue.


Mais j’ai été vraiment gêné par le filmage, bourré des tics contemporains des films réalistes et sociaux : la caméra portée à l’épaule pour mieux suivre le personnage dans l’espace et dans sa psyché. Elkaïm a visiblement embauché un cameraman qui avait Parkinson. La caméra ne cesse de bouger et de trembler et j’ai trouvé ça proprement insupportable. Elkaïm n’a visiblement pas embauché de cadreur. Car certains plans du film sont franchement improbables. Un exemple parmi d’autres : pendant certains trajets en voiture, la caméra, placée à l’extérieure du véhicule, cadre de biais la route ! Malgré ce gros défaut, ‘Ils sont vivants’ est un film à voir car ce n’est pas tous les jours que le cinéma français non-documentaire place sa caméra à Calais dans la jungle. C’est suffisamment rare pour être souligné.

Noel_Astoc
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le 6 mars 2022

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