Pendant la seconde guerre mondiale, les recherches en cryptographie d'un groupe mené par Alan Turing permirent de casser le code de la machine Enigma, outil de chiffrement employé par l'armée allemande. Cette victoire technique a donc contribué à la mise en échec du nazisme. Par la suite, Alan Turing s'intéresse à la capacité des machines à penser. Il met au point le « test de Turing » et travaille sur les premiers ordinateurs. Les autorités britanniques le briment rapidement dans son élan : en 1952, il accepte un traitement (castration chimique) visant à le guérir de son homosexualité, afin d'éviter la prison. Mais son nouvel état ne lui permet pas de poursuivre son œuvre efficacement. Il se suicide deux ans plus tard, quoique les circonstances de sa mort soient floues et alors que les effets 'secondaires' extrêmes (dépression, croissance des seins) étaient en train de s'achever.


En 2013 la reine d'Angleterre 'gracie' le génie des mathématiques à titre posthume, nuançant tardivement une injustice flagrante, en plus d'être relativement absurde (le pouvoir en s'exerçant abusivement se serait interdit de belles marges de développement). Un peu plus tard sort en salles Imitation Game, le biopic policé dans toute sa splendeur, ultra-marketé et nominé aux Oscars. Superbe reconnaissance pour Turing, mais via un produit loin de faire honneur à ses travaux. La complexité n'est pas au rendez-vous, certaines résolutions seront même étonnement simplistes ; l'emphase est mise sur le portrait du personnage, notamment sur les aspects 'autistiques' de son caractère, voir son profil d' 'Asperger'. Turing a été qualifié ainsi rétrospectivement et le diagnostic suggéré à l'écran pourrait être excessif, si l'on s'en remet aux indications de ses proches (famille ou collègues). Par ailleurs, le film sort à une période où les génies asociaux ont la cote ; parmi les sept autres nominés aux Oscars de 2015 se trouve justement The Theory of Everything, hommage cette fois au physicien controversé Stephen Hawking, sorti quasiment au même moment (Novembre 2014 aux USA).


Contrairement au surdoué cassé de ce dernier opus, celui d'Imitation Game se désintéresse de sa coupure avec les autres et la société. Il a peu conscience de son 'humanité' selon l'acception triviale du terme. C'est l'aspect le plus magnétique au programme : Alan Turing est une machine et se conçoit comme tel, défiant les barrières les plus élémentaires à une telle donne, sans toutefois devenir une bête de foire luxueuse ou un monstre malveillant par essence. Le quota d'émotions pachydermiques berçant tout biopic mainstream est au rendez-vous, mais jamais son héros n'y participe. L'accent est mis sur son homosexualité, lui s'y implique essentiellement en flashback. C'est comme si nous étions réduits à contempler un sage dont le regard porte ailleurs, là où justement nous ne pouvons le suivre. En ce sens c'est un très bel hommage soulignant toute la puissance de Turing, la (dé)montrant sans avoir à expliquer ce qui la soutient – et larguerait le commun des mortels et des néophytes.


L'originalité, c'est que ces passages obligés du biopic avec surdoué -qui sont tous là-, sont comme invoqués et anticipés par les personnages, du moins dans la première moitié du film, lorsqu'il travaille encore dans un milieu unilatéralement hostile (exception faite de Churchill himself qui lui confie la direction de la mission sur le programme Enigma). Ainsi Turing trouve des antagonistes le mettant au défi de faire le numéro, ce qui permet d'aller dans le 'cliché' avec une certaine grâce et un début de distance 'méta' souriante. L'exploitation de l'humour involontaire de Turing (à l'entretien de recrutement par exemple) ajoute à la prestance du film. L'entrée de sa future compagne Joan Clarke tire vers des contrées plus médiocres, d'autant que Keira Knightley est pressée à surjouer un décalage pittoresque dépourvu de ressources, voir frôlant la niaiserie. De même, les petites phrases 'lyriques' dotées de peu de sens sont lourdement appuyées. Si les imbuvables « mère dit que je suis intelligent » restent tempérés, les leçons lapidaires ou sentences grandiloquentes telles que « Dieu n'a pas gagné la guerre, nous si » (c'est vrai que seuls les participants ont leur chance) montrent un produit en train de se gonfler avec empressement, ce qui ne cadre pas avec la personnalité dont il est question.


Le jeu de Benedict Cumberbatch (interprète du détective éponyme dans la série Sherlock) ainsi que son aura (qui a probablement motivée son affectation au premier rôle dans le biopic télé Howkins pour la BBC) rendent davantage service à l'individu que ces élans cérémonieux un peu laborieux. Avec sa présence le personnage est rendu fascinant, qu'il reflète ou non au mieux le véritable Turing. Lisse et consensuel, parfaitement prévisible, cet Imitation Game laisse une satisfaction légère ; sa joliesse peut taper dans l’œil. Son absence de profondeur et d'éléments distinctifs empêchent de retenir un tel produit sur le long-terme, mais il profite à plein des vertus de son académisme (il est vulgairement 'irréprochable', savamment dosé et bien écrit selon ses objectifs) et récupère un peu de la grandeur de son sujet.


https://zogarok.wordpress.com/2015/09/04/imitation-game/

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le 4 sept. 2015

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