Angleterre, 1952. Dans une salle d'interrogatoire est assis un homme, Alan Turing. C'est une affaire de cambriolage qui l'a amené ici. Non pas qu'il soit le voleur. Il en fut la victime. Mais l'inspecteur Robert Nock trouvant cette affaire étrange, décide de mener l'enquête et donc de l'interroger. « Êtes-vous attentif ? », lui demande Turing. Car il ne répétera pas son histoire. Histoire part de l'Histoire, importante et pourtant restée secrète jusqu'alors.
C'est en 1939 que nous retrouvons Turing, se rendant alors à Bletchley Park pour un entretien. Spécialiste des mathématiques et plus particulièrement dans le déchiffrage de codes, il intègre une équipe d'élite dont le but est de casser le code Enigma. Car si les polonais y sont parvenus dans les années 1930 grâce au travail de Marian Rejewski et de ses "Bomba" (ce que retrace le film Tajemnica Enigma de Roman Wionczek sortis en 2008), les allemands ont depuis modifié leur système.
Les règles de ce "jeu" sont à la fois simples et implacables : le premier message arrive à six heures du matin et ils ont jusqu'à minuit pour déchiffrer les suivants, Enigma offrant aux allemands plus d'un millions de combinaisons possibles. Turing décide alors, devant la difficulté de la tache, de mener à bien une de ses expérience, jusque là théorique : la construction d'un cerveau électrique capable de décoder n'importe quel message et qui serait, en plus, reprogrammable.
Bien que ce film soit historique, il comporte nombre de faits inexacts, comme le nom de la machine, le comportement de certains personnages envers le héro et d'autres. Mais il serait difficile d'en parler sans dévoiler une grande partie de l'intrigue. N'oublions donc pas que tout n'est pas réel, historique, véridique et que le récit contient une certaine part de création de la part de Graham Moore. Mais au-delà, le plus important n'est-il pas que l'on sache qui étaient ces hommes et ce qu'ils ont fait pour chacun de nous ?
J'écris « hommes », mais sans oublier Joan Clarke, incarnée par Keira Knightley, qui fit elle aussi partie de l'équipe, bravant alors les clivages sociaux de l'époque en prouvant qu'une femme peut faire le travail d'un homme grâce, ici, à son intelligence. Keira Knightley est, à travers cette femme forte, pilier d'un microcosme masculin où il lui faut au début trouver sa place (ce qu'elle fait brillamment), rayonnante et inspirante.
Car The Imitation Game aborde, au-delà des mathématiques pures et dures (que l'on arrive, même sans être très scientifique, à suffisamment comprendre pour suivre l'intrigue) les thème de l'inégalité homme-femme ainsi que celui de l'homosexualité, sujets sensibles même encore aujourd'hui. Ils sont traités avec justesse car il en est question sans pour autant que le film repose sur eux. Son centre est en effet la prouesse technique et scientifique de l'équipe du Bletchley Park, non la question du genre et de la sexualité. Pourtant, elles font partie indéniable de l'histoire car telle était la mentalité de l'époque et tel était Turing, ce qui l'a d'ailleurs détruit après son arrestation en 1952 (et l'aurait conduit au suicide, légende –car les avis divergent- à laquelle le film fait subtilement référence).
Alan Turing est ici dépeint de telle façon qu'il semble être autiste asperger, pensant de façon très pragmatique et ayant du mal à se socialiser tandis qu'il essaye de créer une machine capable de penser comme un être humain. L'homme-machine fait alors figure de docteur Frankenstein, assemblant les pièces de sa machine-humaine. L'on pourrait alors se demander qui imite qui, cela faisant référence à un autre travail du mathématicien, le test de Turing, qui permet de juger si l'on fait face à une machine ou à une être humain. Dans ce rôle, Benedict Cumberbatch est impressionnant par sa capacité à rendre une très large palette d'émotions et ce à leur paroxysme, incarnant tantôt un homme confiant, sûr de lui, voire arrogant, puis se tenant sur le fil du rasoir, au bord de la falaise, de l'effondrement.
Les autres acteurs de ce film ne sont pas en reste. Charles Dance est toujours aussi agréablement détestable, son personnage nous rappelant parfois Tywin Lanister qu'il joue dans la série Game of Thrones. Mais la grande différence est qu'ici, ses actions sont guidées par le gouvernement et également par le fait que la vie de milliers de personnes dépend de la réussite ou l'échec du projet. Tous les acteurs de ce film ont ce petit quelque chose qui nous plonge directement à l'époque de la Seconde Guerre mondiale qui plane sur nos héros.
Même si elle semble en effet lointaine, Morten Tyldum la rend palpable à tout instant. Elle est d'ailleurs par moment visible dans ses conséquences telles la ville de Londres en ruines ou des navires détruits. Les effets spéciaux de ces séquences semblent par endroit manquer de finitions, mais l'on pardonne vite cela à la vue de la machine de Turing. Maria Djurkovic (chef décoratrice) et son équipe l'ont ainsi recréée, rendant les rouages visibles, ce qui donne l'impression qu'elle prend vie lorsqu'elle est actionnée ; élément dramatique et de tension, particulièrement lors de la séquence du Eurêka !.
Tension, impatience, larmes (de tristesse comme de joie) parcourent en effet ce film, non pas sans humour, discret mais efficace. Tant d'émotions qui, justement soulignés par la musique d'Alexandre Desplat, nous gagnent et persistent un temps après la séance, nous laissant groggys, épuisés, vidés alors que nous sommes restés assis deux heures durant. Un film, en somme, à voir sans oublier de prendre un (voire plusieurs) paquet de mouchoirs, ni de prendre quelques distances car, comme écrit plus haut, tout n'est pas historiquement vérifié. Cependant, ce film remplit son devoir, qui est de nous apprendre ou nous rappeler le rôle primordial de la mémoire et des ces personnes sans lesquelles notre vie ne serait peut-être pas la même ; le rôle de ces vies qui ont changé nos vies.
Moulin Laure.