Pour un public averti (et potentiellement déviant).


Je n'ai pas souvenir d'avoir déjà vu quelque chose de similaire, même vaguement, ailleurs au cinéma. À la lisière de la chronique documentaire, deux portraits croisés, deux trajectoires en sens opposés entre l'Autriche et l'Ukraine, deux mouvements d'immigration ou d'émigration (le terme "import export" du titre, donc, le corps humain vu comme une marchandise) selon le point de vue adopté. D'un côté la richesse, de l'autre l'opportunité économique, et des deux l'illusion de pouvoir y réaliser ses aspirations. Un regard froid, terriblement âpre et frontal, assez obscène par moments, sur la réalité de la misère quotidienne de deux êtres en quête d'une vie meilleure, d'une nouvelle chance.


Beaucoup trouveront la démarche dégueulasse, assimilable à une forme de voyeurisme flirtant avec le gratuit ; mais l'espoir chevillé aux corps d'Olga et Pauli, la persévérance dont ils font preuve, et leur capacité à se débattre dans un univers aussi sinistre m'empêchent de réduire le film de Seidl à du pur masochisme complaisant. Derrière le choc des images et des situations, la présence d'un propos, politique, pertinent qui plus est, me paraît évidente. Mais une chose est sûre : amis insensibles ou réfractaires au "style Haneke", âmes sensibles, passez votre chemin.


"Import Export" est sans doute volontairement provocateur, mais il se passe quelque chose de plutôt inattendu à mesure qu'on y pénètre : la surenchère dans le sordide (le mot est faible) tend vers une forme d'abstraction. C'est probablement assez personnel, mais j'ai fini par m'attacher aux protagonistes, au-delà de leurs malheurs, et je pense que cela tient au regard que Seild leur porte, jamais méprisant. De l'affection parvient à émerger, je crois, en dépit de ces lieux bien sinistres gorgés de violence (des piaules bien glauques où des femmes se masturbent à la chaîne devant leurs webcams, et un hospice pour des vieux en fin de vie où règne une hiérarchie malsaine, entre autres). Malgré leur misère morale et financière sans fond, leur désir de s'en sortir et leur foi en un avenir meilleur semblent sans faille. Ils parviennent à transcender, contre toute attente, l'humiliation banale et suprême de leur quotidien.


Ces Autrichiens (généralité tout à fait infondée) sont décidément des gens très gais. Un regard assurément singulier sur la fameuse recherche du bonheur, bien loin des formulations d'un Le Clézio...


[Avis brut #40]

Morrinson
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top films 2007, Réalisateurs / réalisatrices de choix, Pépites méconnues - Films, Avis bruts ébruités et Cinéphilie obsessionnelle — 2016

Créée

le 27 janv. 2016

Critique lue 898 fois

12 j'aime

9 commentaires

Morrinson

Écrit par

Critique lue 898 fois

12
9

D'autres avis sur Import/Export

Import/Export
freddyK
7

Tout Est à Vendre

Sept ans après le déjà bien plombant Dog Days, le cinéaste autrichien Ulrich Seidl était de retour sur les écrans avec son nouveau film de fiction Import Export. Une fois encore le réalisateur va...

le 14 mars 2022

3 j'aime

3

Import/Export
Fatpooper
4

On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a

Bof bof. J'ai vraiment du mal avec le cinéma de Ulrich. Que ce soit les docu ou les fictions. Ici on est un peu à cheval entre les deux. Certaines scènes sont couvertes à la manière d'un...

le 16 juil. 2017

3 j'aime

Import/Export
LESSTHANZER000
9

La geôle...

Ken a regardé pour vous Import/Export est un film autrichien réalisé par Ulrich Seidl en 2007. Scénario: Ulrich Seidl et Veronika Franz.Deux trajectoires évoluent dans des directions opposées. Olga,...

le 9 avr. 2021

1 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

142 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11