In Water
7.1
In Water

Film de Hong Sang-Soo (2023)

Notre note est neutre et ne reflète rien. L'article comporte plusieurs spoilers.


Réalisé par Hong Sang-Soo, In Water se distingue par son surprenant dispositif formel : un flou habille la majorité des plans, jusqu’à les faire coïncider avec une forme d’impressionnisme tardif. Plus qu’un « devenir pictural », comme on a pu le dire ici ou là, cette altération visuelle traduit avant tout une métaphorisation de la caméra en regard. Pas n’importe lequel, mais un regard, conformément à son titre, dans l’eau.

Venus passer quelques jours sur l’île de Jeju, un cadreur et une actrice, Sang-guk (Ha Seong-guk ) et Nam-hee (Kim Seung-yun ), suivent un jeune réalisateur, Seoung-mo (Shin Seok-ho ) venu réaliser son premier court-métrage. En panne d’inspiration, il rencontrera une jeune femme qui fait œuvre de charité en nettoyant une plage. Peu de temps après, il commencera le tournage et, acteur principal de son film, finira par jouer une scène de suicide dans la mer.

On a tous fait cette expérience : la tête sous l’eau, le nez pincé, les yeux grand ouverts, et le panorama flou qui s’ouvre devant nous. Doter la caméra d’un tel défaut de vision permet, en premier lieu, une simplification des corps* ; l’expression des visages s’efface au profit d’une orientation du regard vers les silhouettes, leurs mouvements, leur éloignements. En un mot, leurs dynamiques. Une scène montre par exemple les trois personnages s’arrêter au bord de la mer. Sang-guk et Nam-hee discutent entre eux, s’éloignant progressivement de Seoung-mo, immobile devant la ligne d’horizon. Le flou, en tant que défaut de vision, permet de mettre en évidence cette relégation par une simplification des formes, mais aussi les postures existentielles de chacun : Sang-guk et Nam-hee du côté de la vie, Seoung-mo du côté de la mort.

D’un autre côté, le flou simule le regard de Seoung-mo plongé dans la mer alors qu'il tente de mettre fin à ses jours ; le regard d'un homme revoyant une ultime fois ses derniers souvenirs, lesquels prendraient la forme du film lui-même. L’hypothèse pourrait paraître farfelue si le scénario n’introduisait lui-même une atmosphère fantastique, par le biais d'un récit de fantôme. Nam-hee raconte lors d’un repas qu’une voix l’a interpellée dans la nuit, alors qu’elle se levait pour aller aux toilettes. Après en avoir discuté, elle s’interroge. S’agirait-il d’un fantôme ? Cet instant fait basculer le film dans une ambiance sépulcrale, aidée par les couleurs pastels des paysages, où les corps simplifiées qui le peuplent errent désormais comme des spectres sans volonté.

Ces fantômes, ce sont en vérité les souvenirs qu’essaye de capter Seoung-mo avec sa caméra : lorsqu’il tourne avec Nam-hee, elle porte le même sweat blanc à capuche que la femme qui ramassait les déchets – signes habituels du spectre – et lorsqu’elle enlèvera sa capuche, Seoung-mo coupera le plan pour le reprendre. La raison est simple : il veut reproduire avec fidélité son souvenir, comme s’il tentait de mettre en image un fantôme. Le scénario de son court-métrage le montrera ensuite abandonné par la femme et contraint d’avancer dans la mer**. Incapable de vivre dans le présent, incapable de vivre dans le passé***, il se résout à la mort dans un final à l’émotion rare. À ce moment, impossible de savoir s’il s’agit encore du court-métrage, si c’est Seoung-mo ou le personnage qui avance, dans une sorte d’indifférenciation qui sabote toute tentation allégorique. Réalisateur et personnage fusionnent dans une étrange indistinction, et ces derniers instants sont le film lui-même, souvenir fantomatique d’un suicidé en mal de vivre.



* Plus généralement, et conformément à une esthétique hanekeienne, révéler l’image comme produit d’un regard situé dans le temps et l’espace, ici à travers le flou ou la musique diégétique, c’est produire une image qui s’affirme comme image, incapable de transcrire tout le réel. Autrement dit, une subjectivation de la caméra.

** Cette entrée dans la mer peut également signaler des retrouvailles avec le monde : la volonté de faire corps avec lui. Une forme d’harmonie. Après tout, plusieurs inserts ou plans larges nous montrent que Seoung-mo est le seul personnage à faire preuve d’une réelle prédisposition à observer le monde.

*** En compagnie de ses souvenirs, donc.

Thibaut-Goguet
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le 8 mars 2025

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Thibaut Goguet

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