"Toute réalité n'est que le rêve d'un rêve."*

Dominic Cobb (Leonardo DiCaprio) est un cambrioleur hors du commun. Il s’introduit dans les rêves des autres pour y voler des informations importantes, en allant les chercher là où elles sont le moins bien gardées : dans le subconscient. C’est ce qu’on appelle une extraction. Après une mission qui a échoué sur l’industriel Saïto (Ken Watanabe), ce dernier fait pression sur Cobb et son équipe pour leur faire effectuer le procédé inverse de l’extraction, l’inception. Cela implique pour les extracteurs d’entrer dans le rêve de leur victime (Cillian Murphy), afin d’y déposer une idée. Seulement, pour lui faire croire que l’idée vient de lui, il faut pénétrer jusqu’au troisième niveau de rêve. Et à chaque niveau, les chances de retour s’amoindrissent…


On ne présente plus ce qui reste sans doute à ce jour le film le plus représentatif de Nolan, qui eut le bénéfice de montrer qu’un film original pouvait avoir autant de succès auprès du public que n’importe quelle suite, préquelle ou remake. Son intrigue complexe et labyrinthique ainsi que ses rêves emboîtés en ont marqué plus d’un, et continuent à fasciner toujours davantage. L'immersion totale dans laquelle se trouve plongé le spectateur y est pour beaucoup, Nolan traduisant parfaitement ici la conception qu'il se fait du cinéma, qui devrait être la devise de n'importe quel réalisateur digne de ce nom :
"Je me suis toujours trouvé en train de graviter dans une sorte d’analogie d’un labyrinthe. Pensez à un film noir et si vous représentez l’histoire comme un labyrinthe, vous ne voulez pas être suspendu au-dessus du labyrinthe, en train de regarder les personnages faire les mauvais choix, parce que c’est frustrant. Vous voulez être dans le labyrinthe, avec eux, faisant le trajet à leur côté, ce qui est bien plus excitant. J’aime bien être dans ce labyrinthe."


Sur la forme, le réalisateur britannique réussit donc un sans-faute véritablement impressionnant. De fait, tout sonne juste, de l’excellente photographie de Wally Pfister, d'une exemplaire fluidité à la musique d’Hans Zimmer, insaisissable et vaporeuse mais toujours mélodique, en passant par le montage exceptionnel de Lee Smith, qui parvient à rendre intelligible la construction pourtant plus qu'alambiquée de l’intrigue. Enfin, comme toujours chez Nolan, le casting se révèle parfaitement choisi.
Leonardo DiCaprio incarne à merveille le personnage de Dominic Cobb, (d)étonnant mélange d'aisance décontractée et de tortures intimes révélées par un subconscient un peu trop envahissant. Autour de lui, l'équipe des braqueurs de rêve en vend beaucoup (du rêve), qu'il s'agisse de l'élégant Joseph Gordon-Levitt ou de Tom Hardy, aussi cool qu'abrupt, qui forment un parfait duo de personnages secondaires rappelant les meilleures heures du buddy movie, qu'Inception n'est pas. Ellen Page, elle, en plus d'apporter une fraîcheur bienvenue dans cette équipe pleine de testostérone, constitue un excellent canal pour guider le spectateur dans ce labyrinthe qu'elle découvre en même temps que nous, en suivant son fil d'Ariane.
C'est la qualité d'écriture de ces personnages qui permet à une émotion, certes discrète, mais bien réelle, de pointer le bout de son nez quand il le faut, animant cette réflexion qui sous-tend tout le cinéma nolanien sur la dimension relationnelle de l'homme, ici particulièrement la relation père/fils, mais également la relation conjuguale, mise en scène de manière impressionnante au travers des personnages de Mal et Cobb, intemporels Marion Cotillard et Leonardo DiCaprio, qui, malgré (ou plutôt grâce à) l'étrange froideur de leur couple ont tout pour rester dans les couples les plus marquants du grand écran.
Il est en outre particulièrement agréable de voir un film où le réalisateur peut se reposer entièrement sur l’intelligence du spectateur (à condition de ne rater aucune bribe de phrase, ce qui n’est pas toujours évident), sans pour autant rendre son spectacle inutilement abscons comme se seraient plus à le faire un Lynch ou un Kubrick.


Mais ce qui impressionne le plus, c’est l’aisance avec laquelle Christopher Nolan parvient à distiller dans son œuvre une réflexion, discrète et profonde, qui trouve plusieurs niveaux d’interprétations. Inception est en effet l’occasion pour Nolan et son spectateur de réfléchir d’abord sur le processus créatif qui est à la base de l’art, et ici, particulièrement du cinéma. On trouve ainsi de nombreux questionnements sur les limites que doit poser un créateur à son œuvre, et sur son degré d’implication dans celle-ci. Il l’illustre notamment par l’opposition des personnages de Mal, qui finit par se noyer dans son œuvre, la prenant pour la réalité, et de Cobb qui, lui, reste parfaitement conscient du caractère illusoire de celle-ci. Car si l’œuvre (ici, le rêve) reflète la réalité, ne peut-on pas dire également qu’elle est une réalité en soi ?
Ce questionnement passionnant se retrouve dans le film entier de Nolan, et s’ancre aussi bien dans une réflexion philosophique qui passe à la fois par Platon (le mythe de la caverne et la question de la réalité concrète ou illusoire de notre monde), Descartes (la définition et la réalité de l’être, la limite entre le rêve et la réalité : voir encore l'opposition Mal/Cobb), Freud (les rapports conflictuels de Robert et Maurice Fischer, la plongée au fond du subsconscient de Robert pour s'émanciper de la tutelle de son père) ou Nietzsche (le rapport du rêve au monde), sans compter les nombreuses allusions bibliques ou mythologiques (la parallèle entre DiCaprio et Orphée, les allusions à Ariane et son fameux fil ou à Joseph - en arabe, Yusuf - qui, dans la Bible, interprète les rêves de ses frères).
On n’en finirait pas de faire la liste de toutes les influences qui émaillent le film de Nolan, tant celui-ci se révèle d’une densité intellectuelle (mais pas intellectualiste) rare. Je me serais bien lancé dans de grandes explications philosophiques, mais en-dehors de mon manque de temps et de mes souvenirs philosophiques assez rouillés, vous trouverez par une simple recherche sur internet des articles beaucoup plus solides et efficaces que ce que j'aurais pu faire...


Finalement, le plus grand coup de génie d’Inception, c’est peut-être d’avoir révélé qu’il était possible de faire un blockbuster à la fois divertissant, cultivé et intelligent. En un mot, d’en faire un chef-d’œuvre.


*Henri-Frédéric Amiel (citation un peu idiote - en tous cas, hors-contexte -, d'ailleurs, mais elle colle bien au film)

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le 10 mars 2017

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Tonto

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