La galère d'Herzog

Parti dans ce visionnage sans infos ou presque je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, à priori un documentaire sur un projet de film de Werner Herzog, mais en fait ça va bien plus loin, et on ne le remarque que step by step, et je dois dire que l’expérience fut fort plaisante.

Le film démarre comme un véritable documentaire sous forme de making-of, Herzog nous invite dans sa résidence pour parler de son futur projet, tourner un reportage sur le mystère du Loch Ness en Écosse avec un regard singulier, il s’entoure d’une équipe organisée par son producteur Zak Penn, principalement des techniciens ayant travaillés dans le monde du divertissement hollywoodien, une volonté de fédérer le public. À ce moment là sincèrement on y croit dur comme fer, on se dit que le docu va narrer les mésaventures d’un tournage maudit, un peu dans le style Hearts of Darkness, puis quelques indices de mise en scène apparaissent pour nous dire que quelque chose ne va pas. Par exemple une discussion entre Penn et le chef opérateur qui ne sonne pas franchement réaliste, je dirais que c’est une des maladresses du film, la première étape est un peu abrupte, ça nous permet de comprendre l’idée mais disons que j’aurais préféré me faire avoir un peu plus longtemps. Car le but est de démontrer graduellement comment un film peut échapper des mains de son créateur, des petites tensions commencent à s’installer brisant ainsi la confiance apparente de Herzog.

Le truc vraiment très intéressant c’est comment l’ambiance va grimper en flèche et jouer des alternances, car démarrant d’une simple expédition en bateau pour réaliser des prises de vues plus ou moins utiles le film va basculer sous différents points dans une certaine parodie volontaire de la main mise des productions hollywoodiennes. On sentait déjà les désaccords artistiques entre Herzog et Penn puis on voit défiler quelques clichés (assez symboliques) de contre-productivité cinématographique comme instaurer dans l’équipage une playmate jouant le rôle improbable d’une spécialiste sonar ou laisser tourner le chef opérateur sans la présence du réalisateur, tout est un peu gros à avaler, ce qui nous plonge dans une certaine confusion. L’auto-dérision de Herzog est vraiment drôle, d’ailleurs il me semble qu’aucun rôle n’est fictif, au final c’est un cirque assez malin sur les ficelles de l’industrie, le fait que le projet ne se prenne pas au sérieux m’a beaucoup plu. Puis le ton va carrément virer au surnaturel, quitte même à utiliser des semblants d’artifices de série B d’horreur, que ça soit visuel ou sonore, à un moment on ne sait plus ce qu’on regarde et c’est extrêmement plaisant, comme un faux documentaire montrant un faux documentaire virant au film de genre orchestré par un producteur malhonnête.

Je n’ai pas trop envie d’en dire plus pour vous laisser quelques savoureuses surprises, en tout cas ce petit film acerbe et rusé est franchement très sympathique et mérite le coup d’œil. La première partie méritait quant à elle sans doute un peu plus de subtilité pour opérer une immersion optimale dans un certain contexte brut et réaliste et ainsi réussir totalement son tour de force, mais malgré ça la magie opère, en un mot : bluffant.

PS : Argument evy-nadlerien qui devrait définitivement vous convaincre à vous lancer dans ce film : http://3.bp.blogspot.com/-JSOItu4YO28/UiEq66gdNyI/AAAAAAAADxw/4eYJihKCcG8/s1600/Incident%20at%20Loch%20Ness%20Kitana%20Baker%20sonar.jpg