On a souvent dit qu’« Indiscrétions » (1940) mettait en scène la victoire de la classe dominante sur la classe populaire : la victoire de Dexter Haven (Cary Grant) et de Tracy Lord (Katharine Hepburn) sur Macauley Connor (James Stewart) et George Kittredge le parvenu (John Howard). Je n’en suis pas sûre. Ce film met en scène la victoire de l’hédonisme et de l’humanité sur les déterminations sociales. C’est bien parce que Cary Grant est humain que Katharine Hepburn finit par retomber dans ses bras et par délaisser son richissime fiancé patron d’usine. Ce film est l’histoire d’une révélation. Et Cary Grant en est le catalyseur. Pendant tout le film, il essaye discrètement de toucher le cœur de son ex-femme pour qu’elle accède enfin à l’humanité et qu’elle descende de son piédestal où elle régnait en « déesse » incontestée depuis si longtemps. Il lui apprend à accepter ses faiblesses et celles des autres. Il lui apprend à vivre, tout simplement. Quant à James Stewart, il offre à Katharine un moment d’égarement et de lâcher-prise qui lui permettra, au terme d’une longue nuit d’ivresse, de retrouver la sensibilité qu’elle avait enfouie au fond d’elle-même pour l'offrir avec ingénuité à son premier mari, Cary Grant. C’est une Katharine Hepburn revivifiée, plus humaine et plus éblouissante que jamais, qui dit « oui » une seconde fois à son premier amour – le seul et l’unique – Cary Grant. Et l’on se prend à regretter que celui-ci n’ait pas obtenu l’oscar du meilleur acteur attribué à James Stewart, sachant combien son jeu subtil et délicat, tout en retenue et en suggestion, aura fait pour extraire sa partenaire de la tour d’ivoire où elle s’était enfermée. Tu peux sourire, Cary, et faire rouler tes yeux de velours, c’est bien sur toi que reposent la magie du film et la renaissance de Katharine Hepburn. Avec cette œuvre, George Cukor a réécrit « Holiday » (1938) et porté aux nues son couple-fétiche, Cary Grant-Katharine Hepburn. Ce deuxième film - comme un second mariage – célèbre une nouvelle fois les noces de la liberté, de l’amour et de l’art cinématographique. Cette fois-ci, l’alchimie est totale.