Dix ans après sa sortie, j’ai voulu redonner une chance à Inherent Vice, que je n’avais déjà pas aimé à l’époque. Et malgré le temps, mon avis n’a pas changé : je n’accroche toujours pas à cette déambulation psychédélique dans le Los Angeles des années 70. Je reconnais pourtant un vrai travail de cohérence de la part de Paul Thomas Anderson. Le film adopte un rythme fragmenté, avec des plans souvent coupés de manière abrupte, des séquences elliptiques qui reflètent l’état mental de Doc Sportello, constamment sous drogue. D’un point de vue formel, le film épouse parfaitement son sujet, il est construit autour d’une logique interne qui tient. Et il s’inscrit clairement dans la lignée de certains films d’exploitation ou d’auteur des années 70 dont il reprend les codes esthétiques et narratifs.
Mais en tant que spectatrice, l’expérience est trop déroutante, mais pas engageante. Tout semble désincarné. Les personnages sont eux-mêmes dans un détachement quasi permanent, comme s’ils flottaient au-dessus des enjeux. Cette succession de scènes absurdes, parfois drôles, souvent creuses, donne au film une tonalité vaguement nihiliste. Comme eux, on finit par se désintéresser de ce qui leur arrive. 
Quelques scènes émergent pourtant de la fumée. Il y a une vraie douceur dans la première rencontre entre Doc et Shasta, une mélancolie suspendue dans le silence. Il y a aussi un humour satirique bien senti avec Bigfoot et ses sous-entendus sexuels constants, ou encore ce repaire de dentistes sous acide. Joaquin Phoenix compose un Doc halluciné, parfaitement crédible en détective hippie marginal qui refuse de rentrer dans le système. 
Mais au final, rien n’y fait. Je garde l’impression que j’avais eue à la première vision : celle qu’il faut planer pour vraiment accéder au niveau de lecture du film, pour “comprendre” ce qu’il essaie de nous faire vivre. Moi, clairement, ça ne fonctionne pas.