Le générique s’élève comme un souffle feutré et déjà luit l’éclat trompeur du diamant-cœur derrière lequel se profile l’ombre d’un film : Insaisissables 3. D’emblée la promesse est grande, familière — prestigieuse, élégante — mais la magie espérée se fissure dès que l’écran s’allume. Sous les paillettes et les effets, la chair du récit manque ; l’illusion s’effrite et l’on reste spectateur d’un spectacle qui ne nous touche ni ne nous transporte.
Au cœur de la mise en scène de Ruben Fleischer, comme dans les épisodes précédents, le cadre est ample mais creux : les quatre Cavaliers, rejoints par une jeunesse fraîche mais déjà domestiquée, se lancent dans une course spectaculaire à travers des décors globaux, des plans vertigineux, des effets visuels soignés. On sent les travellings précipités, les cadres qui montent à la verticale, les zooms qui cherchent l’émerveillement. Mais tout cela ne prend pas ; l’illusion de fond, celle qui touche et transporte, ne passe pas. Le montage, hâtif et nerveux, zappe les silences, les respirations : l’œil est saturé, l’attention fragmentée. La musique, qui voudrait donner de l’épaisseur, retombe dans le clinquant. On ne croit pas au regard posé sur ces personnages ; on ne croit plus au « truc » : l’effet magique qui vous fait ployer un instant hors du temps s’évapore.
Le récit se veut ingénieux — un énorme diamant, une super-opération, un affrontement entre vieux maîtres et jeunes prodiges — mais la mécanique grince. Le problème n’est pas seulement la prévisibilité ; il est dans l’absence de souffle romanesque, dans l’absence d’enjeu moral ou métaphorique solide. La lumière vise avant tout à « fonctionner » : combinaisons, mécanismes, tours de passe-passe. Le cadre ne cesse de rappeler la saillie du décor, les artifices du studio, plutôt que les creux d’une angoisse, d’un désir, d’un vertige intérieur. Le film prend ce qu’il a de plus superficiel — le scintillement du diamant, la vitesse, le spectacle — sans se donner les moyens d’explorer quoi que ce soit derrière.
Et pourtant, quelques notes positives se glissent, presque accidentelles. Ici et là, la grâce de certains visages persiste ; les acteurs savent parfois transformer une réplique en blessure. On reconnaît la précision d’un décor, la topographie d’une ville qui devient décor mental. Et l’on peut saluer la ponctuation visuelle qui, par instants, réussit à faire respirer l’image : une salle inversée, un jeu de reflets, un escalier infini. Mais ces éclairs restent ponctuels ; ils apparaissent comme des promesses non tenues, des parenthèses d’un désir de cinéma qui ne se déploie pas.
Le plus navrant tient à l’effort visible mais vain ; on sent la tentative de renouveler la formule — l’injection de jeunesse, les clins d’œil au fan-service, la multiplication des tours — et cette tentative reste cosmétique. Le renouveau ne parvient pas à effacer l’empreinte des deux premiers films, eux-mêmes déjà prisonniers d’une volonté d’éblouir plutôt que de penser. Ici la formule est recyclée ; la mécanique du « qui tire les ficelles ? » s’enlise dans la répétition des gestes. Le plan de caméra, au lieu d’ouvrir un espace mental, enferme dans la sécurité du déjà-vu : on assiste, on applaudit, mais l’on n’est pas saisi.
Les personnages sont réduits à des signes ; leur psychologie, minimaliste, est traitée comme un outil dramaturgique à usage unique. Lorsque, dans le premier opus, l’on entrevoyait la possibilité d’une fable sur la complicité et le pouvoir de l’illusion, ici tout file à la surface. Le découpage, nerveux, ne laisse jamais le temps au souffle : tout va « trop », comme pour masquer le peu qui se joue. Le champ et le hors-champ se contentent de servir le trompe-l’œil ; la mise en abîme de la manipulation reste à l’état d’effleurement.
La direction artistique et les costumes obéissent à une exigence de luxe et de précision ; la photographie, souvent léchée, sait composer des images séduisantes. Mais la virtuosité formelle devient parfois anesthésiante : elle empêche la montée d’une émotion vraie. Les choix de cadre, la manière d’installer un plan rapproché ou d’élargir la perspective, ne produisent guère d’épiphanie ; ils servent le mouvement mais non la révélation. Le montage sonore, quant à lui, privilégie l’urgence au modelé ; les contrastes dynamiques n’aboutissent pas à des crescendos signifiants mais à un tapis qui uniformise.
Il faut toutefois reconnaître la maîtrise de quelques séquences ; une scène prolongée, tenue au bord du silence, retrouve un peu de mystère ; un écho visuel, habilement placé, renoue avec la logique du tour. Ces réussites, hélas, n’ont pas la force de contrebalancer l’ensemble. Elles ressemblent à des éclats dans un vitrail fissuré : beaux mais insuffisants pour recomposer l’image.
Au fond, ce troisième volet, malgré sa parure lustrée, est une coquille sans épaisseur. Il échoue à transformer le tour de passe-passe en émotion ; il renonce à faire du spectaculaire un lieu de vérité. La magie y brille en surface ; la métamorphose qui atteint l’âme n’a pas lieu. Le diamant reste dans son coffre-fort ; l’étincelle s’est éteinte.
Qu’on garde, pour finir, l’image d’un théâtre désert où les luminaires sont encore allumés : la scène déploie ses décors, le mécanisme fonctionne, mais quelque chose d’essentiel n’a pas été convoqué — un souffle, un silence, une parole qui aurait donné chair à la ruse. Insaisissables 3 laisse derrière lui l’éclat d’un artifice accompli sans l’épreuve du vrai.