Dur de s'arracher à une boucle temporaire

Dans le club très fermé de la SF d'exploration spatiale, Interstellar devait forcément se tailler une belle place. Le contrat et rempli. Il y a de magnifiques joujoux bardés de technologies, à la fois réalistes et originaux, inventifs. TARS, le robot doté d'une AI (Intelligence Artificielle) très "human friendly" est l'un des plus réussis de ces joujoux hi-tech. Non seulement on peut lui demander de doser le pourcentage d'honnêteté et d'humour de ses répliques, mais en plus, il peut faire dix fois plus de choses que le


couteau suisse de l'espace


de Sandra Bullock dans Gravity ! (Film catastrophe - Bilan : Un dernier quart d'heure catastrophique) : ramper, flotter, rouler, se coucher, faire le beau (non, sans rire ! Et même le saint-bernard !), envoyer des vannes... et très certainement des courriels... Et bien entendu, calculer hyper très vite des trajectoires méga super très compliquées ! (certains prétendent même qu'il a le look d'un monolithe noir brillant que j'ai déjà vu quelque part dans la filmographie de Stanley Kubrik, mais chuuuut ! Je n'entrerai pas dans la comparaison d'avec 2001, plein d'autres s'y sont collés avant moi).
Et puis les divers étages de la fusée sont là : boosters, propulseur principal, charge utile... de belles images de nébuleuses, de distorsions de l'espace-temps, d'anomalies gravitationnelles... des personnages attachants ou d'autres que l'on adore détester. OK... M. Nolan, le devoir est correct, à la hauteur des critères habituels, la moyenne de cinq étoiles est acquise.


Poursuivons si vous le voulez bien, et intéressons nous au fond...


L'humanité vit ses dernières heures. Zéro biodiversité. Le blé transgénique ne résiste plus aux maladies cryptogamiques. Il n'y a plus que du maïs à bouffer (on se croirait aux États-Unis en 2018, comme dans "Food INC."). Un oiseau plane aux dessus de nos têtes... un... vautour !? Non ! Un drone indien (certainement le pays le plus peuplé du globe) désorienté. Matthew McConaughey est un retraité forcé d'une NASA dont les heures de gloire appartiennent à un passé lointain, mais il n'a pas perdu la main. Pour sa fille Murphy, il va dompter l'oiseau mécanique. Il va encourager, renforcer d'un bon bagage scientifique les intuitions de la jeune surdouée de 11 ans...
Est-ce pour elle qu'il acceptera d'être happé par une nouvelle aventure spatiale inespérée alors !? Le fait est qu'il embarque avec le fol espoir de sauver l'humanité.


Mmmmmmh... Intéressant. Voilà qui devrait apporter le piment romanesque, et un peu métaphysique, qui fait les grands chefs-d’œuvre de SF. Car dans le savant dosage, il y a la part théorique, le tangible, l'anticipation. Ici, ce sont les théories concernant la distorsion de l'espace-temps, et les trous de vers qui sont à l'honneur.


L'idée, c'est qu'un saut temporel, sous la forme d'un déplacement exploitant une distorsion spatio-temporelle provoquée par la présence d'un corps céleste exerçant une très forte attraction gravitationnelle est théoriquement envisageable (Merci Einstein, Hawking et les autres !). Le principe, c'est de profiter de cette distorsion de l'espace-temps pour s'éloigner d'un point donné (au hasard : la terre) puis d'y revenir, en ayant voyagé quasiment à la vitesse de la lumière, selon une trajectoire, un parcours où, en gros, l'écoulement du temps est différent de l'écoulement du temps au point de départ. Il reste à savoir ce que l'ont peut en tirer. Nolan l'exploite dans une scène magnifique : au retour d'une exploration de quelques heures sur une planète-océan, Matthew McCogaunhey rejoint un vaisseau-mère sur lequel 23 ans de messages vidéos en provenance de la terre ont été enregistrés. En quelques images, il se découvre grand-père, puis revoit enfin le visage de sa fille, désormais aussi âgée que lui... Jolie ficelle ! (C'est Jessica Chastain)


Mais à trop tirer sur les cordes...
Ils (ou Elles) -them, c'est à dire "eux" en anglais- finissent par casser. Et avec elles... l'intérêt pour le film s'effiloche ensuite à la vitesse de la lumière : peu importe l'identité (ou l'entité) de ce "Eux". Intrusion du divin, ou intelligence extra-terrestre !? Force venue d'une galaxie très lointaine !? Que sais-je encore... l'amour, pourquoi pas, dont on sait depuis le cinquième élément qu'il...


est le cinquième élément !


Bref.
"Eux" seront l'argument métaphysique final de M. Nolan pour "boucler" temporairement son histoire. Temporairement, d'abord, parce que par la suite, lorsque le personnage de McConaughey accèdera au "Tesseract" (en quelque sorte le "coeur" d'une boucle temporelle que Nolan a illustré à grands renforts d'images synthèse beaucoup trop géométriques) la boucle sera bouclée, et toutes les actions seront résolues.


Temporairement ensuite, car, et là j'aurai un avis plus personnel, la suite nous emmène sur la face nord de tout sommet de SF : la part métaphysique, réflexive... le questionnement existentiel. Tadaaaam (ceci était une pâle imitation de la bande originale d'Hans Zimmer qui, au passage, vaut le coup).


Ce sont "Eux" donc, qui sont à l'origine de ce trou de ver apparu miraculeusement aux abords de Saturne. Et là, je vous vois venir M. Nolan : "Eux" ne sont certainement pas venus par hasard, bien entendu. Ce sont "Eux" qui vont permettre le salut de l'humanité ! Dont acte. Ce n'est de toute manière pas là le problème. Non.


Le problème réside avant tout dans les choix à faire ensuite. L'art et la manière de sauver cette humanité. Les choix cornéliens... Suis-je parti dans le but de sauver ma fille, mon amoureux, mes proches, ou poussé par l'impérieuse nécessité de perpétuer l'espèce ou par un quelconque idéal, ou le sens du devoir ? Réminiscences... Et les choix du Chevalier Noir... The Dark Night... Criminels et honnêtes gens sont dans deux bateaux... Qui sacrifier en premier, monsieur le Joker !?
Car Interstellar peut aussi être vu comme une vaste interrogation sur le sens de la survie de l'humanité : quel en seraient les sacrifices, dans quel but !? Notre soif d'exploration a-t-elle d'autres fins que notre désir de conquérir de nouveaux espaces ? Et enfin... l'espoir de coloniser un jour d'autres systèmes solaires à l'autre bout de l'univers peut-il nous affranchir de nos responsabilités envers notre planète d'origine ?


Or, M. Nolan, les réponses que vous apportez me paraissent personnellement beaucoup trop égoïstes. Certes, avec une immense grandeur d'âme, le personnage de Matthew McConaughey va chercher à secourir l'ensemble de ses semblables, quand il aurait pu se contenter d'assurer la pérennité de l'espèce sur une planète accueillante (Aucun des deux bateaux n'explose, échec et mat, mon cher Joker, Il faut toujours garder la foi en l'humanité !). Mais selon moi, Vous choisissez finalement de sacrifier ce vaisseau Terre qui n'en peut plus de ce cancer humain, pour l'envoyer polluer un peu plus loin dans l'univers, sans retenir aucune leçon. C'est dans un espace totalement aseptisé, contrôlé, mesuré, confiné... glacialement scientiste, étouffant sous un soleil artificiel que se termine le film. Une serre spatiale en partance pour une lointaine colonie. On y chercherait presque Wall-E, ou plutôt Eve, dans ses travées.


Ah, Si l'on pouvait reprendre la boucle temporelle esquissée par "Eux" ( Lire pour la théorie l'article de la Wikipédia au sujet du voyage dans le temps ), revenir quelques lignes un peu plus haut, à la fin temporaire de tout à l'heure, et réaliser en fin de compte que celle-ci avait été posée là pour contraindre l'être humain à faire face à ses responsabilités, ne plus fuir la poussière (et ses gigantesques tempêtes climatiques), percevoir tout le gâchis, toute la vanité de ce drone du début, oiseau mécanique impuissant à veiller sur les immensités dénaturées du complexe agro-alimentaire... amender ses erreurs... sauver la planète... Quelle belle image c'eut été... pour "Eux", comme pour nous ! J'aurais sans doute porté Interstellar jusque dans les -dix- étoiles !


NB:
Dans l'hypothèse ou une machine à voyager dans le temps pourrait être conçue, celle-ci permettrait très théoriquement le voyage "rétrograde", c'est à dire vers le passé, uniquement jusqu'au moment exact de sa première mise en fonction, pas avant. C'est la fameuse "boucle temporelle". Dans Interstellar, cette boucle doit forcément déjà être "active" lorsque les personnages vivent les premiers moments du film.

Pacomm
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le 15 nov. 2018

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Pacomm

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