Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.


Je ne sais pas ce qui fait un bon film d’horreur. Ou plutôt, si, j’ai des pistes mais pas de réponses arrêtées. En revanche, je sais qu’il y a une chose que je me dois de prendre en compte : moi. Ce qui me touche, viscéralement, se doit d’être questionné. Dans le cas d’It Follows, ce facteur est primordial : à plusieurs reprises, je n’ai pas ressenti la peur, je l’ai vécu. Je l’ai éprouvé, non pas comme une réaction épidermique mais comme un truc qui vient de mon essence, de ce qui fait que je suis moi. Rien que pour ça, franchement, c’est fort.



Chronique d’une mort annoncée


Pour comprendre pourquoi, comme d’hab, il faut se pencher sur la mise en scène. Et pour ça, rien de tel que l’entrée en matière d’It Follows. Cette scène introductive relève d’une maîtrise et d’une cohérence qui m’a tout de suite séduit. Après ça, où que le film aille, je le suivais. Et pour cause, elle pose les jalons de tout le reste du film. En termes de mouvements de caméra, d’abord, s’il y en a un qui condense tout le propos et le geste esthétique du film, c’est bien le travelling circulaire…


Mais prenons un petit temps pour poser les choses : que présente la première scène ?

Une zone pavillonnaire américaine comme on en a vu des tonnes au cinéma. Une femme sort en courant d’une maison, semblant fuir quelque chose ou quelqu’un qu’on ne voit pas. Elle s’arrête en plein milieu de la route, une voisine lui demande si elle veut de l’aide, elle lui répond que non. Elle rentre dans la maison et ressort un peu plus tard. Elle rentre dans la voiture et la démarre. Cut, il fait nuit. Arrivée sur une plage, elle sort de la voiture, s'assied dans le sable, appelle ses parents et leur dit qu’elle les aime. Cut, plan suivant, son corps est brisé, sans vie, sur cette même plage, en plein jour.


Le tout, sans musique, brut et si élégant à la fois.


Cette introduction est excellente. En moins de 5 minutes, tout est déjà compris par le spectateur. Une menace que seule la victime peut voir, qui la suit où qu’elle aille et qui s’avère mortelle. Une scène efficace, précise, en tension, qui parvient à rester énigmatique. J'étais cueilli avant même que l’on voit à l’image les personnages principaux et que l’affecte avec eux ne se crée. J’avais peur par anticipation, je craignais la mort car je savais, dès l’entame, qu’elle serait inévitable. L’ironie tragique est déjà là, comme une chape de plomb qui pèsera sur tout le film. La scène d’intro est remarquable car elle pose directement les règles qui seront, dans un premier temps, ignorées des personnages. Dès l’instant où la caméra s’attarde sur Jay, nouvellement maudite, le spectateur n’a plus le choix de suivre celle qu’il sait condamnée.


Et tout ça, donc, en amorçant le fameux leitmotiv du travelling circulaire. Dans le cas d’It Follows, le travelling ne tourne pas autour d’un sujet mais autour de lui-même. La différence est essentielle, les maudits n’auront de cesse de répéter ce mouvement, balayant leur environnement du regard pour chercher ce qu’ils savent déjà venir vers eux. Ce mouvement incarne la fuite perpétuelle qui aboutit à un retour au point de départ, les personnages reviendront en permanence vers les lieux qu’ils quittent, et ce, quelle que soit la distance qu’ils parcourent. Un véritable cauchemar.


Cauchemar en sixteen


Qui n’a jamais, en plein sommeil, rêvé qu’une personne la suit sans relâche ? En tout cas, moi oui. Les autres ne voient pas la menace et disent que c’est dans ma tête. S’il m’arrive de refaire sans cesse les mêmes cauchemars, voire de vivre l’épisode suivant d'une terreur survenue en pleine nuit, la peur, elle, est sans cesse présente.


Dans ce contexte, le cercle est un vase clos qui enferme et condamne tout en étant paradoxalement en constante mobilité, à l'image de la mise en scène elle-même : répétition des mouvements de caméra, des typologies de scènes, de la musique etc. L’ironie tragique s’exprime également par ces répétitions. Comment ne pas penser que ça va mal finir pour les personnages lorsqu’ils décident de fuir pour rouler jusqu’à la plage ? Un lieu qui sent la mort depuis la première scène et qui tranche inévitablement avec la légèreté de ce qui, pris dans un autre contexte, ressemble à des vacances entre amis. It Follows est un film qui se répète désespérément. Désespoir d’autant plus important qu'il est partagé entre le personnage principal et le spectateur qui, lui aussi, voit la menace. Le lien personnage/spectateur n’en est que plus solide car il lie les deux parties alors même que les autres personnes qui gravitent autour de Jay ne peuvent pas comprendre ce qu'elle vit.


Et puis, la force du rêve naît aussi de puiser dans le vécu et la psyché des personnes. Voir ce film en 2025, ce n’est, me concernant, pas du tout la même chose que si je l’avais vu à sa sortie. En 2014, j’étais ado. J’avais seize ans, soit à peu près l’âge des protagonistes du film. Aujourd’hui, je suis plus au fait du monde dont je fais partie intégrante. Je suis plus à même de me remettre en question et de questionner ce que je vois et fait. Et puis, ce monde a changé…


Le cercle vicieux


Une des défenses les plus marquantes, me concernant, lors du procès Pélicot, est celle du “ viol sans intention de le commettre“. Non seulement elle vient remettre en question la définition juridique du viol mais elle dépossède l’homme de sa volonté propre, le déresponsabilisant et déviant par la même occasion la culpabilité. Cette notion, complètement fallacieuse, représente bien l'ambiguïté constante dans laquelle sont plongés les maudits.


Comme pour un cauchemar, ce film n’a probablement pas d’explication unique mais de multiples interprétations, parfois contradictoires. En ce qui me concerne, il me paraît assez cohérent qu’It Follows parlent de viol. Le viol, en tant qu’acte, dans un premier temps, puis en tant que traumatisme et, surtout, en tant que schéma. Cette malédiction sexuellement transmissible ne reflète-t-elle rien d’autre que des viols nécessaires aux saluts des personnages ? Dans la première scène de transmission, l’acte apparaît sain et consenti, ce n’est que dans un second temps que les intentions du transmetteur se révèlent. C’est là toute l’ingéniosité du concept puisqu’il nous pousse à remettre en question en permanence les passeurs de malédiction. D’autant que, tel un trauma indélébile, la menace remonte la chaîne au fur et à mesure qu’elle tue les derniers maudits en dates.


Ce faisant, le film met en avant la responsabilité des hommes face à leurs actes. Des être humains, certes, parmi lesquels on trouve des mâles. Le personnage masculin ne prévient pas sa “victime” qu’il copule avec elle en voulant la “contaminer”, il l’endort de force et la bâillonne pour ensuite lui expliquer. A contrario, Jay prévient ses amis qui ont des réactions assez différentes. Greg, le voisin, ne la croit pas, décrédibilise sa version mais couche quand même avec elle, à l’hôpital et meurt, ironiquement tué par sa mère. Pourtant, à la mort de Greg, la première réaction de Jay est bel et bien de “refiler” la place de dernier maudit à des inconnus trouvés sur la plage. J’y vois une représentation de la peur, du traumatisme, d’un schéma qui se reproduit à l’infini. Un putain de cercle vicieux. Chaque acte allant dans le sens d’un éloignement alourdit la culpabilité. Le tout, en prenant comme personnages principaux des adolescents, figures complexes en constants chamboulements.


J’ai été glacé par la figure démesurément immense d’un homme nu passant l'encablure de la porte, jusqu’ici fermée, d’une chambre. Durant tout le film, plusieurs pistes vont dans le sens d’une représentation menaçante de la masculinité. Ce sous-texte passe par les dialogues, avec, exemplairement, la réplique “c’est plus facile de coucher pour une fille comme toi” et ce qu’elle sous-entend dans le contexte des évènements du film, qui prend une tournure très cruelle. Les personnages de Hugh, Greg ou celui, plus nuancé, de Paul, sont tous, à un moment ou un autre, des représentations d’hommes en potentiel danger ou danger avéré. Même les voyeurs du début ou les formes masculines que prend l’entité alimente cette méfiance, accentué par le fait même que le mode de transmission de l’entité soit une forme d’IST.



Derrière sa dimension cauchemardesque, le patriarcat, la culture du viol et le masculinisme sont disséqués en sous-texte par le film. En ce sens, voir It Follows en ayant en tête le film suivant de David Robert Mitchell, Under The Silver Lake, donne une autre lecture au film. Après la première vague MeToo et avant la seconde qui aura plus d’ampleur, David Robert Mitchell pose des jalons qui seront repris dans son film suivant avec un personnage principal masculin voyeur, qui objectifie les femmes, enfermé dans un cercle qui le ramènera à son point de départ.


Jekutoo
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le 8 sept. 2025

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