Un concept de base relativement original. Une mise en scène quasi impeccable et une ambiance bien glauque, comme on les aime, qui joue sur les effets d'attente et de tension, appuyés par une bande son dont, même si je ne raffole pas, je me dois de souligner la justesse dans ce film précisément.


Sur la forme, donc, je n'ai pas grand chose à redire.
Venons-en au fond. C'est là que les choses se corsent. J'ai du mal à croire qu'un tel effort de réalisation puisse se passer d'une signification plus profonde, auquel cas ce serait franchement dommage. Cela dit, quoi qu'It Follows tende à représenter, les intentions du réalisateurs sont - volontairement ? - très peu visibles. Et, bien que j'aime la plupart du temps qu'une partie de l'interprétation soit laissée libre au spectateur, ici je trouve que le film ne fournit pas suffisamment de clés, et je n'ai pas encore trouvé d'interprétation satisfaisante.


La première chose qui vient à l'esprit, quand on apprend la manière dont "It" se transmet, c'est qu'il s'agit d'une sorte de MST. Interprétation un peu creuse qui réduirait le film à une sorte de discours moralisateur sur l'abstinence sexuelle. Discours contradictoire, d'ailleurs, puisque les jeunes sont invités à transmettre "It" pour s'en débarrasser. Or, que je sache, partager une MST ne permet pas d'obtenir un sursis dans sa progression...
Outre cela, en gros, le film dirait : "Si vous goûtez le fruit défendu, vous êtes condamnés à coucher, encore et encore, ou bien à crever !" Encore une fois, ça me paraît un peu simpliste...


Evidemment, on peut aussi voir "It" comme la peur de l'âge adulte accompagnée, par extension, de celles de la vieillesse et de la mort. Le film donnerait alors à voir une bande d'enfants innocents qui un par un prennent conscience de leur mortalité. "It", c'est la paranoïa qui suit cette prise de conscience, alors que les jeunes ne parviennent pas à accepter leur condition de mortels et se sentent menacés à tout moment par le trépas. Les réminiscences du monde de l'enfance sont omniprésentes, comme si la protagoniste cherchait à faire marche arrière. Avant d'être "infectée", elle apparaît comme une ado détachée de la réalité qui s'isole dans sa piscine, l'air rêveur, et joue à des jeux un peu superficiels dans la file du cinéma. Et puis tout bascule, sa condition humaine la rattrape. Elle tente de fuir cette mort qui lui apparaît comme imminente, malgré qu'elle approche à pas lents. Et où fuit-elle ? Sur la balançoire d'un jardin d'enfants, dans la maison d'enfance d'un de ses voisins,... Autant de lieux qui font écho à cette innocence perdue que l'on souhaiterait retrouver. La fin du film suit alors la logique de ce dernier. """ Vient la phase de l'acceptation. Jay abandonne la piscine gonflable pour un bassin public, de plus grande envergure. Dans une démarche encore naïve, ses amis et elle échafaudent un plan pour piéger "It". Pourtant, le spectateur n'est pas dupe : rien n'a pu jusqu'alors tuer "ce qui suit", et le plan cartoonesque imaginé par la bande de copains semble beaucoup plus dangereux pour Jay que pour la chose qui la menace, et qui est de toute évidence immortelle - logique, si on part du principe que c'est la Mort elle-même. D'ailleurs, Jay refuse de donner l'identité du visage pris par "It" à la piscine. Certains prétendent qu'il s'agirait de son père, absent dans le film et dont elle ne parle jamais. On pourrait donc voir là un retournement dans le fait qu'elle accepte de regarder son passé en face, sous un nouvel angle, avec le recul de sa maturité éprouvée. La scène présente plus ou moins la mort du géniteur : celui qui lui a transmis la vie, et donc nécessairement la mort. Après voir affronté son propre passé, elle est dorénavant prête à affronter le futur et à partager le poids de ses craintes. La relation amoureuse qui naît à la fin se perçoit proprement comme cette union sacrée : dans la vie comme dans la mort. Et parce qu'il a accepté que l'ombre du trépas se tienne toujours à quelques pas derrière, le couple peut désormais avancer sereinement, au même rythme que ce spectre. """


Au passage, l'omniprésence presque obsessionnelle de l’élément aqueux dans le film n'aura échappé à personne. Personnellement, je le vois comme l'obsession propre du personnage qui cherche refuge dans le liquide, lequel renvoie au stade fœtal. L'eau apparaît comme le symbole de la volonté de conserver à jamais la jeunesse innocente et sécurisante.


Cette seconde approche paraît convaincante. Cependant, trop peu d'éléments permettent d'assurer que c'est la bonne interprétation - pour peu qu'il y ait une bonne interprétation. Par conséquent, on ne peut pas s'empêcher de noter quelques discordances.
Déjà, le passage à la maturité est rendu effectif par l'acte sexuel. Personnellement, j'ai du mal à voir le rapport... Pourquoi la peur de la mort se transmettrait-elle sexuellement ?
Il y aurait là une logique si on considérait le mythe d'Eros : Eros, cette entité grecque ni mortelle, ni divine par le biais de laquelle les hommes peuvent s'élever. L'acte sexuel, dans le mythe d'Aristophane, se présente comme la tentative des hommes de retrouver leur forme première dans l'union, qu'ils espèrent éternelle. Seulement, l'acte sexuel a une durée limitée et, sitôt fini, les hommes sont renvoyés à leur condition de mortels. D'où une possible prise de conscience de sa mortalité dans la sexualité.
Cependant, lorsque Jay est infectée, elle a déjà eu au moins une relation sexuelle auparavant : """ avec Greg au lycée.""" Pourquoi la prise de conscience n'est-elle pas survenue à ce moment-là ? Si on s'appuie sur la théorie d'Eros, on peut penser que c'est une question d'amour : il faut aimer la personne avec qui on couche pour avoir le sentiment d'unicité et éprouver le choc de son humanité. On suppose donc que Jay n'était pas amoureuse la première fois. Cela dit, si la théorie tient debout, elle exclue le fait que l'on puisse refiler "It" à une prostituée, par exemple, laquelle ne nous aimerait pas. Or rien dans le film ne laisse entrevoir une telle limite à l'infection, présentée comme purement sexuelle...


Plus déroutant : si on admet que "It" se transmet sexuellement, il est plus difficile de songer à s'en débarrasser de la même manière. En effet, lorsque les personnages transmettent sexuellement cette peur de la mort, ils ne sont plus poursuivis mais continuent à la craindre :
"""Jeff est complètement paranoïaque; Jay guette la chose à la fenêtre quand Greg est menacé. Et paradoxalement, Greg, quoi qu'infecté, ne montre aucune peur face à la mort et, loin de l'accepter, se fait prendre par surprise"""
Ce détail remet en cause la nature même de "ce qui suit" et donc toute la théorie explicitée précédemment... Pourquoi avoir seulement suggéré que contaminer une autre personne pouvait libérer de "ce qui suit", alors que la peur de la mort persiste, sans sa manifestation "physique" ? On suppose qu'en couchant avec une autre personne, on révèle sa mortalité et, par un effet de miroir, on soit capable, sans cesser de craindre notre propre mort, de l'envisager comme "banale". Si la personne sur qui on se projette vient à mourir, la conscience de notre mortalité nous revient en pleine face et la peur paranoïaque ressurgit. Cependant, il faudrait encore que cette personne soit proche, pour que sa mort puisse nous affecter. On ne pourrait pas se projeter ainsi sur un coup d'un soir. Or, "It" refait surface, peu importe quelle relation on entretenait avec celui ou celle à qui on l'a transmis.
C'est véritablement dans cette idée de transmission que le film atteint une limite qu'il semble incapable de dépasser : parce que l'image ne renvoie à rien de concret, psychologiquement. Le schéma d'infection type MST conduit ici à généraliser des réalités psychologiques beaucoup plus complexes auxquelles le film se heurte, je pense, malgré lui, indépendamment de sa volonté de proposer une interprétation ouverte. Dès lors, on ne peut que rester sur sa faim.

Rodreamon
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le 2 janv. 2016

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Cliffhunter ➳

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